Adrien Welsh, membre de la LJCQ
Ars longa, vita brevis. Pour le compositeur et militant grec Mikis Theodorakis, décédé le 2 septembre dernier à l’âge de 96 ans, l’oeuvre est indissociable de sa vie marquée par la lutte contre le nazi-fascisme, contre la dictature des colonels et pour les aspirations démocratiques et sociales non-abouties du peuple grec comme de tous les peuples dans les dernières années.
Celui qui s’est fait connaître du public mondial en signant, en 1964, la musique du film Alexis Zorba – notamment avec le Syrtaki final – était, outre un compositeur, un militant de la première heure qui n’a jamais reculé devant le sacrifice pour faire valoir ses idées. À seulement 17 ans, il s’engage dans l’EAM (Le Front national de libération grec) contre l’occupation fasciste, puis au Parti communiste grec (KKE). Il participe, en 1944, à la sanglante bataille d’Athènes. Durant la Guerre civile, il se range tout naturellement du côté de l’Armée démocratique (DSE). Une fois celle-ci défaite, il subit la répression, l’exil et la torture. Entre 1967 et 1974, alors que sévit la dictature des colonels, il est emprisonné. C’est d’ailleurs de sa cellule qu’il signe la musique du film Z de Costa Gavras et ce n’est qu’en 1970, alors qu’il s’exile en France, qu’il apprend avoir remporté le prix de la meilleure musique au Festival de Cannes.
De retour en Grèce après le soulèvement de la Polytechnique d’Athènes en novembre 1974 (qui aura raison de la junte militaire), il continue son combat politique en parallèle avec son activité créatrice. En 1978, il se porte candidat à la mairie d’Athènes sur la liste du KKE. Il en sera député entre 1981 et 1985.
Musicalement, l’oeuvre de Theodorakis puise dans la musique traditionnelle grecque qu’il sublime en oratorios, symphonies ou encore en hymnes de résistance qui continuent d’inspirer les jeunes et les travailleur-ses dans leurs luttes quotidiennes. Pour lui, composer est une façon d’affirmer sa liberté. Conspuant le « racisme » artistique, il ne ménage pas ses mots lorsqu’il critique la musique classique contemporaine comme musique « de laboratoire » complètement déconnectée des masses. Il s’oppose à l’élitisme mondain, soulignant que l’art doit être accessible à tous et toutes et qu’il n’y a pas lieu d’opposer culture populaire et culture savante. Sa musique était le reflet de cet idéal artistique.
Sentant la Faucheuse s’approcher de lui à grand pas, en octobre 2020, alors qu’on lui rendait hommage, Theodorakis rédige une lettre au secrétaire général du KKE, Dimitris Koutsoumpas. Il y écrit : « Aujourd’hui, à la fin de ma vie, au moment de faire le bilan, les détails s’estompent et seuls restent les grandes lignes. Je constate donc que mes années les plus fortes, les plus critiques et les plus mûres, je les ai passées dans les rangs du KKE. C’est pourquoi je veux quitter ce monde en communiste. »
En le rencontrant à La Havane en 1981, Fidel Castro dit de Theodorakis : « Je pense que la musique est plus difficile que la politique. La preuve en est qu’il y a beaucoup de politiciens dans le monde, mais très peu de bons musiciens. Mais il y a encore moins d’artistes révolutionnaires, bien que les artistes aient propension à être révolutionnaires. Il y a beaucoup de politiciens qui ne sont pas révolutionnaires, alors le pourcentage d’artistes révolutionnaires est bien plus important que celui de politiciens révolutionnaires. »
Nous pourrions ajouter que, par son œuvre comme par son engagement politique, Theodorakis était à la fois politicien et artiste révolutionnaire, tout comme Aragon, Éluard et Picasso. Faisons-lui cet honneur de le laisser quitter ce monde en tant que communiste.