Le lien qui unit réforme et révolution est éminemment dialectique : aucune révolution n’a lieu ex nihilo. De même, aucune transformation révolutionnaire de la société ne peut être le fruit d’une demande ou d’une revendication, si radicale soit-elle. Il arrive cependant que des revendications d’apparence simple et peu avancées portent en elles les germes de cette transformation sociale et ce, beaucoup plus que celles qui « sonnent » révolutionnaires et peuvent paraître plus avancées, mais ne servent en fait qu’à flatter l’égo de ceux qui jouent aux tribuns populaires et pensent avoir découvert la lutte des classes. Au Québec, le parallèle entre le mouvement étudiant de 2012 et celui de 2015 en est une parfaite illustration.
D’un côté, il y a une revendication claire et précise : le gel des frais de scolarité; de l’autre, une revendication certes plus radicale, mais plus nébuleuse : non à l’austérité et « fuck toute ». Dans un cas, il y a un mouvement organisé, coordonné et uni — fruit de plusieurs années de négociations et de préparation. L’autre présente un soulèvement peu réfléchi, épidermique et spontané. En 2012, la majorité des manifestations étaient massives et pacifiques tandis qu’en 2015, elles ont pu rassembler au mieux quelques dizaines de milliers de personnes. Dernier élément de comparaison : en 2012, le mouvement a su obtenir l’appui des syndicats tandis que trois ans plus tard, le mouvement s’est ri de ces derniers en déclarant la « grève » quelques mois avant la grève du secteur public directement en lutte contre l’austérité du gouvernement Couillard.
Au-delà de la forme de la grève, très peu d’éléments unissent l’un et l’autre des mouvements. Au final, le mouvement « réformiste » de 2012 a été plus dangereux pour la classe dirigeante que le mouvement « radical » de 2015. C’est là la preuve que les changements sociaux ne viennent ni de slogans, ni d’actions directes, mais de la capacité à identifier les directives correctes permettant l’unité et la combativité les plus massives.
Le mouvement de 2015 s’est construit dans l’opposition à celui de 2012, comme si celui-ci avait été un échec. Ce faisant, il a pavé la voie à la fragmentation du mouvement, sa marginalisation vis-à-vis du mouvement ouvrier, sa sectarisation. On l’a vu notamment avec les comités Printemps 2015 qui ont mépris le mouvement étudiant pour ce qu’il n’a jamais été, un mouvement révolutionnaire.
Évidemment, la lutte de 2012 n’est pas parfaite. Mais les défaitistes qui y voient un échec oublient une chose : le mouvement étudiant ne peut à lui seul être porteur de transformation sociale. Il doit d’abord se constituer comme allié du mouvement syndical, car c’est celui-ci qui est en mesure de réellement s’attaquer et à la production et à la réalisation de la plus-value.
Plus fondamentalement, ce qui a manqué en 2012, ce n’est ni un manque de radicalisme, ni le manque de participation d’étudiant·es des secteurs techniques — ces dernier·ères ont avantage à s’engager dans la lutte une fois formé·es dans leurs syndicats — ni une absence de combativité du mouvement syndical. Ce qui a manqué est simple : la prolongation politique de la lutte. Même les syndicats les plus « indépendants » finissent par appuyer la social-démocratie mortifère pour tout mouvement (au mieux). D’autres ont jeté leur dévolu sur le nationalisme québécois comme solution avec les résultats qu’on connaît (le gouvernement Marois a certes mis fin à la hausse, mais il l’a indexée à l’inflation).
Que conclure de cette situation? Le mouvement étudiant n’a jamais été plus subversif pour la classe dirigeante que lorsqu’il s’est constitué comme partie prenante d’une alliance anti-monopoliste longuement préparée qui unit les syndicats, les associations étudiantes et les différents mouvements démocratiques et populaires dans une perspective politique indépendante de la classe dirigeante. La riposte de 2015 s’est construite contre cet esprit d’unité anti-monopoliste. Celle des comités Printemps 2015 a tout fait pour isoler le mouvement étudiant non seulement des syndicats, mais de ses propres instances.
Aujourd’hui, à l’aube d’une récession et sous trame d’attaques de la classe dirigeante contre les travailleur·ses, ce sont les questions socio-économiques qui reviennent au cœur du combat. Les étudiant·es doivent être préparé·es à ce genre de bataille décisive. C’est là que la jeunesse communiste doit influer.