La dissolution en 2019 de l’Association pour une solidarité syndicale étudiante (ASSÉ), qui avait mené la grève historique de 2012, laisse le mouvement étudiant du Québec sans organisation combative qui soit capable d’orienter la lutte. Les fédérations nationales existantes, l’Union étudiante du Québec et la Fédération étudiante collégiale du Québec, adoptent davantage une approche lobbyiste et mettent peu d’efforts dans la mobilisation de la base. Malgré cette absence, une part importante d’associations étudiantes demeurent mobilisées, mais cette énergie de mobilisation se retrouve dissipée parmi plusieurs priorités concurrentes et les revendications unificatrices peinent à émerger. C’est ainsi que près de 90 000 étudiant·es ont fait grève pendant au moins un jour dans la semaine du 21 mars au 1er avril 2022 avec des revendications aussi vastes et variées que la gratuité scolaire, la rémunération des stages et la justice climatique.
Une clarification des orientations et des revendications du mouvement s’impose. Le mouvement étudiant semble mûr pour mener à bien le projet de reconstruction d’une association nationale combative, qui devra composer avec le morcellement du mouvement étudiant et chercher à l’unifier. Une analyse de l’état actuel du mouvement est utile pour en faire ressortir les perspectives de lutte.
Les revendications historiques du mouvement étudiant du Québec, portées par l’ASSÉ et ses ancêtres, ont visé à empêcher l’augmentation des frais de scolarité et la réduction de l’accès à l’aide financière, dans une perspective de lutte pour l’éducation gratuite et pour un niveau de vie décent pendant les études. Ces revendications, certes réformistes et économiques, ont l’avantage d’avoir le potentiel à la fois d’unifier la grande majorité des étudiant·es autour d’intérêts matériels communs et de s’inscrire dans une perspective politique plus large de défense des services publics et du niveau de vie de la classe ouvrière.
Bien que la grève de 2012 ait réussi à bloquer la hausse des frais de scolarité de 1 625 $ par année prévue par le gouvernement Charest, elle s’est soldée par l’indexation des frais, soit une hausse annuelle récurrente qui s’est élevée à 26 % entre 2013 et 2021, le double de l’inflation. Dans le contexte actuel de crise du logement, d’augmentation des taux d’intérêt sur les prêts étudiants et de salaires qui ne suivent pas l’inflation galopante, les revendications touchant à la condition étudiante demeurent le fondement le plus solide de la lutte étudiante et doivent continuer à être articulées.
Après l’échec de la grève de 2015 contre l’austérité, la rémunération des stages a émergé en 2016 comme revendication centrale dans une tendance gauchiste du mouvement étudiant, hostile à la structure organisationnelle de l’ASSÉ et prônant la décentralisation complète de la lutte. Les fondements théoriques de cette tendance, qui militait pour la reconnaissance du travail étudiant comme travail salarié plutôt que pour la défense de l’éducation comme service public, mais surtout son hostilité envers les structures du mouvement étudiant, ont rendu difficile la reprise constructive de ses revendications par les associations étudiantes aux niveaux local et national.
Pourtant, l’abolition des stages non rémunérés s’inscrit tout à fait dans la lutte pour un niveau de vie décent pour les étudiant·es et pour la défense des services publics. Bien que les étudiant·es en stage constituent aussi une main d’oeuvre bon marché dans le secteur privé, les stages non rémunérés sont concentrés dans les domaines liés aux services publics, comme l’éducation, les soins infirmiers, la pratique sage-femme, le travail social et l’éducation à l’enfance. La lutte pour l’abolition des stages non rémunérés dans ces programmes d’étude, où les femmes sont majoritaires, rejoint la lutte contre l’effritement des conditions de travail dans ces domaines et pour le réinvestissement dans la santé et l’éducation comme services publics. Elle rejoint aussi la lutte commune contre la précarité étudiante, la période de stage étant très exigeante et rendant encore plus difficile la conciliation entre études, travail et famille. Les étudiant·es qui ravivent aujourd’hui la revendication des stages payés ont tout intérêt à rejeter l’approche cloisonnante qui dominait cette tendance en 2016, à participer à la reconstruction d’une organisation étudiante combative et à articuler leur lutte avec celles du mouvement syndical dans le secteur public.
L’enjeu qui est actuellement le plus mobilisateur, surtout parmi les nouvelles cohortes de cégépien·nes, est sans doute l’environnement et le climat. La manifestation pour le climat du 27 septembre 2019 a été la plus grande de l’histoire du Québec, et celle du 24 septembre 2021 a vu 112 000 étudiant·es en grève à travers la province. Il est évident que la jeunesse s’inquiète gravement des changements climatiques et que cette mobilisation est loin de s’essouffler.
Il est tout aussi clair, cependant, que le mouvement environnemental manque de direction commune et de clarté idéologique. La majorité des groupes écologistes étudiants se concentrent dans la pratique sur la sensibilisation, le changement des habitudes de consommation individuelles et les mesures locales, comme la mise en place de compost dans les établissements d’enseignement et le désinvestissement des fondations des universités des énergies fossiles. De telles revendications sont essentiellement symboliques et, lorsque satisfaites, servent surtout à bonifier l’image de l’établissement. Les militant·es environnementalistes qui font un lien entre la crise climatique et le capitalisme vont généralement remettre en cause le développement économique en soi et la consommation excessive, plutôt que le caractère anarchique et irrationnel de la production capitaliste.
Une perspective de classe est nécessaire pour orienter le mouvement environnemental. Les revendications orientées vers la décroissance et la diminution de la consommation individuelle se traduisent par une augmentation des prix ou des taxes sur la consommation, ce qui constitue un non-sens du point de vue des intérêts de la classe ouvrière. L’intérêt de la classe ouvrière est plutôt dans la planification rationnelle de l’économie pour le bien commun, qui inclut la transition énergétique et la protection de l’environnement. Dans cette optique, il faut promouvoir au sein du mouvement environnemental une orientation vers la propriété publique et le contrôle démocratique des ressources naturelles, de l’énergie et des transports. Les débats sur les questions environnementales sont aussi une occasion de développer des positions anti-impérialistes dans le mouvement étudiant : la défense nationale représente 60 % des émissions de carbone de l’État fédéral, et Montréal sera bientôt l’hôte du nouveau centre de recherche de l’OTAN voué à la préservation des intérêts géostratégiques des pays impérialistes face aux changements climatiques qui viennent aiguiser les contradictions de l’impérialisme.
La collaboration plus étroite entre le mouvement étudiant et les militant·es environnementalistes dans le milieu syndical est un développement prometteur. Comme à l’automne 2019, une quinzaine de syndicats ont voté un jour de grève illégale en solidarité avec la grève étudiante à l’occasion de la manifestation pour le climat de septembre 2022, revendiquant notamment un réinvestissement massif dans les services publics pour faire face aux effets de la crise climatique. Le mouvement de grève environnementale est toutefois entièrement limité au secteur de l’enseignement et n’est pas arrimé à l’approche des centrales syndicales sur cette question. La défense de l’environnement ne doit pas faire concurrence aux luttes socio-économiques des syndicats, mais plutôt s’exprimer à travers celles-ci.
Tout en tentant de donner une direction commune à l’élan de mobilisation sur le climat, l’association étudiante nationale en formation devra veiller à ne pas laisser de côté les revendications historiques du mouvement portant sur la condition étudiante : la récession imminente ne viendra qu’aggraver la précarité étudiante et ouvrière. Elle devra tisser des liens avec les autres forces sociales pour pouvoir compter sur leur appui, particulièrement avec le mouvement syndical, qui est son allié naturel dans la lutte pour la défense des services publics et du niveau de vie de la classe ouvrière. Finalement, sans compromettre ses principes de syndicalisme de combat, l’association nationale devra chercher à rallier les éléments moins mobilisés du mouvement étudiant autour de ses revendications et maintenir des liens non-antagonistes avec les fédérations nationales. S’il y a une leçon à tirer de la grève de 2012, c’est bien que la force du mouvement étudiant est dans son unité.
Organisons-nous et faisons revivre l’esprit combatif du mouvement étudiant québécois!