Par Manuel Rato
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Pour beaucoup d’étudiant-es, la COVID-19 est synonyme d’anxiété. Anxiété par rapport aux logements qu’ils ne seront sans doute plus en mesure de payer à la fin du mois, anxiété par rapport à leur emploi alimentaire et leur emploi d’été si essentiel pour joindre les deux bouts et payer des frais de scolarité de plus en plus élevés.
Ces inquiétudes ne se limitent pas à l’aspect financier. Tous et toutes se demandent ce qu’il advient de leur parcours scolaire, de leur session, de leurs examens. Il est évident que les conditions tant matérielles que psychologiques ne sont pas propices aux études. Les universités et les écoles ne doivent pas se transformer en centres de formatage de cerveaux pour les intérêts du Capital. Au contraire, ce sont des lieux consacrés à la diffusion du savoir et à l’épanouissement personnel. C’est pour cette raison que la fin des session et année scolaires 2020 devrait être décrétée immédiatement et tous les étudiant-es et élèves qui ne sont pas en situation d’échec devraient passer à l’année suivante et, dans le cas des universités, les cours pour lesquels les étudiant-es ont obtenu la note de passage devraient leur être crédités. Ces mesures ne sont pas si extraordinaires: l’Université du Québec à Trois-Rivières et l’Université du Québec en Outaouais les ont déjà appliquées. De nombreuses pétitions circulent d’ailleurs à cet effet.
Il est impossible de prédire la fin de la crise sanitaire. Or, pour bon nombre d’étudiant-es, le simple fait de s’inscrire à l’université implique de déménager vers les centres urbains, donc contracter un bail pour la durée de l’année scolaire. Si les mesures extraordinaires appliquées pour juguler la pandémie (fermeture des écoles et universités) se poursuivent encore un mois, il y a de fortes chances que ces baux arrivent à échéance, ou que les étudiant-es aient d’autres projets pour l’été, ce qui représente un réel casse-tête logistique. Pour ceux et celles qui habitent des logements étudiants, dont la majorité sont fermés, une reprise des cours dans un mois implique un nouveau déménagement.
Pour les étudiant-es internationaux, le casse-tête est encore plus important: les résidences étudiantes vidées, leur seule option est soit d’élire domicile chez des amis, ou rentrer. Or, ce ne sont pas tous les pays qui disposent des moyens nécessaires pour les rapatrier. Que faire des ressortissant-es de pays en proie à la guerre ou à l’occupation (Syrie, Irak, Palestine, etc.)? Comment peuvent-ils se débrouiller s’ils contractent la COVID19 alors que leur accès au régime de santé universelle est limité malgré les 25 000$ qu’ils paient en moyenne en frais de scolarité?
Dans ses différentes annonces, Trudeau s’est contenté de promettre aux étudiant-es une amnistie sur les paiements d’intérêts de leurs dettes d’études. Ce n’est ni une amnistie sur les dettes d’études, encore moins une mesure favorisant l’accès aux études supérieures. Une fois la crise sanitaire surmontée, la facture risque d’être salée. Les dettes à la consommation s’étant accumulées, le retour au paiement des intérêts sur les 30 000$ en moyenne que contracte chaque étudiant-e au Canada sera d’autant plus brutal.
Devant cette situation, les maigre 2000$ par mois que propose Trudeau en aide d’urgence ne pèsent que peu dans la balance (surtout pour les étudiant-es qui n’y ont pas accès). Cette somme ne permet pas de survivre dans plusieurs centres urbains du pays (là où sont concentrés universités, collèges et CÉGEPs).
La question de la qualité de notre éducation se pose également. En effet, si la technologie permet en ce moment de continuer les classes à distance soi-disant pour répondre aux besoins extraordinaires du moment, il reste qu’il y a un danger d’en étendre l’utilisation même une fois la pandémie écartée et ce, au détriment de la qualité de l’éducation. De la même façon qu’on risque de banaliser le télétravail, on prétextera bon déroulement des cours à distance pour “réorganiser, rationaliser les ressources”, c’est-à-dire pour justifier le renvoi de professeur-es, leur accumulation de tâches (enseigner dans plusieurs écoles via internet, enseigner à plusieurs classes en même temps, etc.) au détriment de leurs conditions de travail, et, de ce fait, des conditions d’études.
Il ne faut que de peu de clairvoyance pour comprendre que les mesures que proposent nos gouvernants aux étudiant-es ne sont pas seulement insuffisantes, mais elles nous engagent dans une direction dangereuse, une direction dans laquelle on essaie de faire payer le gros des frais de cette crise aux étudiant-es, aux jeunes et aux masses laborieuses.
La pandémie de COVID19 a dévoilé les contradictions du système capitaliste à ceux qui en doutaient encore l’existence. Ce système est clairement incapable de résoudre les problèmes de la population à moins que les exploiteurs en tirent un quelconque bénéfice. Ce n’est donc pas un hasard si les pays qui s’en sortent le mieux, ceux où on peut conclure avec confiance que la reprise une fois la pandémie écartée se fera non pas dans les intérêts des possédants mais bien dans les intérêts du peuple et de la majorité bénéficient tous de services publics étendus, en particulier en matière de santé.
Expansion des services publics, défense des monopoles publics, nationalisation des secteurs-clés de l’économie, voici la clé de voute pour empêcher que le patronat bénéficie ne serait-ce que d’un dollar sur les 260 milliards qu’a octroyés Trudeau. Dans une perspective purement étudiante, cette revendication se traduit par la nécessité urgente de la reconnaissance de l’éducation à tous les niveaux comme un service public qui doit être accessible gratuitement à tous et toutes et assuré par un monopole public (aucune place accordée au privé dans l’enseignement). C’est aussi lutter pour une éducation démocratique et de qualité – non aux cursus calés sur les besoins du patronat. Enfin, c’est affirmer haut et fort qu’à l’instar de la santé, l’éducation n’est pas une marchandise!