Adrien Welsh, membre de la LJCQ
Depuis le mois de septembre, les manifestations se succèdent en Guadeloupe. Le 15 novembre, les mobilisations se sont renforcées, avec notamment les principaux syndicats – la Confédération générale du travail de Guadeloupe et l’Union générale des travailleurs de Guadeloupe – qui ont lancé un appel à la grève générale. Le département voisin de Martinique n’a pas tardé à emboîter le pas. Cette révolte populaire est semblable à celle de 2009 qui avait mis le feu à ces départements français des Antilles où des barrages sont levés. L’État français n’a pour réponse que l’envoi des groupes tactiques et la répression à hue et à dia.
L’élément déclencheur de ce mouvement est l’imposition par Paris de l’obligation vaccinale des soignant-es sur cette île qui manque cruellement de personnel et d’infrastructures médicaux. On compte en effet à peine 35 lits de réanimation pour tout le département. Devant un système médical dont l’état de décrépitude ne serait pas jugé acceptable en « métropole », les Guadeloupéen-nes n’acceptent pas que plusieurs soignant-es perdent leur emploi pour la simple raison qu’ils et elles ne sont pas vacciné-es.
Néanmoins, la colère est beaucoup plus profonde. Comme l’affirme le secrétaire général du Parti communiste guadeloupéen, Félix Firmin, « la question de fond, c’est le mépris colonial, la relation de la France avec la Guadeloupe. » Ce mépris colonial est effectivement partout.
L’économie du pays est exclusivement rentière, subordonnée à celle de la France et aux mains d’une minorité blanche hégémonique, les Békés. En conséquence, entre 40 et 45 % de la population vit sous le seuil de pauvreté – un seuil pourtant réduit par rapport à celui de la métropole – et 61 % des jeunes de 25 ans et moins sont, selon les chiffres officiels, privés d’emploi.
Dans les médias, on a laissé des propos fondamentalement racistes couler à l’effet que les habitant-es y refuseraient la vaccination à cause de leur présumé alcoolisme et croyances vaudoues. Le ministre des Outre-mer (des Colonies) a jeté de l’huile sur le feu en parlant de « réticences culturelles et religieuses ». Pourtant, il n’est pas difficile de comprendre que devant une situation socio-économique aussi criante qui perdure, le sabotage systématique de toute initiative économique productive et le refus de reconnaître le droit des Guadeloupéen-nes et Martiniquais-es à exercer leur souveraineté comme la majorité l’entend (par l’autonomie), l’imposition de mesures aussi radicales par Paris comme la mise à pied d’une partie non-négligeable du personnel soignant soit un terreau fécond pour catalyser la colère populaire.
Comment convaincre enfin que l’obligation vaccinale des soignant-es est une mesure sanitaire efficace quand le même gouvernement qui l’impose refuse de reconnaître le lien entre chlordécone et cancer? Effectivement, jusqu’en 1990, les latifundiaires de la banane, Békés pour la plupart, ont aspergé leurs plantations de cet insecticide extrêmement puissant en toute légalité et ce, bien que la France ait su les impacts de celui-ci sur la santé dès 1969. Interdit en 1990, le chlordécone continue d’être utilisé impunément et avec la complicité des autorités françaises pendant trois ans à cause du « lobby de la banane ». Aujourd’hui, 90 % des habitant-es de Guadeloupe et Martinique en sont affecté-es.
Dans les faits, si l’obligation vaccinale a mis le feu aux poudres, la mèche était déjà bien en place. Les Guadeloupéen-nes et Martiniquais-es sont surtout en lutte contre le mépris colonial.
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