A picture of Erin O'Toole as a puppet, with his mouth wide open. All around him is the word "cancelled!" repeated over and over again, dozens of times. Out of his mouth also come large lightning bolt-like shapes.

La cancel culture, le conservatisme et le communisme au Canada

Un spectre hante l’Amérique du Nord – le spectre de la cancel culture…

Daniel Featherby, membre du cellule « Fred Rose » (Toronto).

Cet article est présenté dans notre nouveau numéro, célébrant les 100 ans du mouvement communiste au Canada. Abonnez-vous ici pour recevoir votre copie!

Un spectre hante l’Amérique du Nord – le spectre de la cancel culture (« culture de l’annulation »). Beaucoup seront peut-être attristé-es d’apprendre qu’au cours des 30 derniers jours, les Canadien-nes ont effectué plus de recherches Google sur la cancel culture que sur le communisme. Le chef conservateur Erin O’Toole a prévenu que la cancel culture est une menace non seulement pour « notre histoire et nos institutions », mais aussi pour la démocratie elle-même. Selon O’Toole, la cancel culture est un instrument que la gauche radicale, ainsi que la Chine et la Russie, utilisent pour miner la démocratie au Canada. La raison pour laquelle O’Toole est si inquiet à ce sujet, dit-il, est que lorsque la démocratie vacille, les conservateurs sont les premiers à être persécutés, et pour étayer ses dires, il a rappelé le poème qui, dans son esprit, commence par « quand ils sont venus chercher les conservateurs ».

Erin O’Toole a tout à fait tort de croire que le mouvement anticapitaliste au Canada travaille en opposition à la démocratie. Depuis plus de 100 ans, les communistes sont à l’avant-garde de la lutte pour une société juste et démocratique, une société guidée par la majorité des travailleurs et travailleuses. Ce sont en fait les forces de droite, plus précisément celles des partis conservateurs et du Parti libéral, qui ont fait fi de leur prétendu engagement envers une démocratie juste et libre chaque fois que cet engagement est entré en conflit avec la domination continue de la classe capitaliste canadienne sur les nations autochtones, le Québec et l’ensemble de la classe ouvrière. De cette façon, O’Toole poursuit le long héritage des Tories en réécrivant l’histoire et en déformant les objectifs et les actions actuels des socialistes. Ses vagues déclarations sur la gauche « radicale » sont sans fondement face à l’histoire réelle du Parti communiste, qui a été une cible majeure de l’agression de la droite contre la classe ouvrière.

Lors de sa fondation officielle en 1921, le Parti communiste était illégal en vertu de la Loi sur les mesures de guerre, qui avait été adoptée par les conservateurs de Borden en 1914. Cette loi a d’abord servi à enfermer les organisations et les individus qui s’opposaient à la participation du Canada à la guerre, mais elle a été utilisée même après son expiration officielle en 1920. Divers décrets du temps de guerre sont restés en vigueur pendant quelques années et ont permis au gouvernement de réprimer les mouvements ouvriers croissants de l’après-guerre. Ainsi, presque toutes les associations ouvrières d’Europe de l’Est sont également interdites, de même que le Parti communiste, qui existera en tant qu’organisation clandestine jusqu’en 1924.  

Malgré quelques brèves années de légalité à la fin des années 1920, le Parti communiste redevient une organisation illégale en 1931, lorsque la Grande Dépression risque de pousser la classe ouvrière vers le socialisme. Cette interdiction a été appliquée par le gouvernement du conservateur et anticommuniste R. B. Bennett, et justifiée par l’article 98 du Code criminel du Canada, qui interdit les « associations illégales ». Bien que le Parti communiste ne corresponde pas à la définition d’une telle association, puisqu’il ne prône pas la violence, la force ou le terrorisme pour apporter des changements, le prétexte de cette étiquette est que la notion selon laquelle la classe ouvrière doit lutter pour ses propres intérêts contre ceux de la classe capitaliste est elle-même violente. Toute personne associée au Parti communiste est donc associée à une organisation illégale, et huit dirigeants du PCC, dont Tim Buck, sont arrêtés le 11 août 1931. Ironiquement, tout en interdisant le Parti communiste pour son soutien supposé à la violence, le gouvernement Bennett utilisait lui-même la GRC pour mettre fin par la violence à des mobilisations initialement non violentes, comme la grève d’Estevan et la marche On-to-Ottawa, qui menaçaient de soulager les souffrances de la classe ouvrière. Il semblerait donc que les conservateurs de Bennett ne voyaient aucun problème avec la violence, tant que celle-ci était utilisée pour soutenir la classe capitaliste plutôt que la classe ouvrière.

La répression contre les communistes au cours des années 1930 est particulièrement aiguë au Québec, où l’Union nationale extrêmement conservatrice de Maurice Duplessis est élue en 1936. À une époque où les organisations fascistes se multiplient et prônent ouvertement la haine des Juifs et d’autres minorités, le gouvernement Duplessis choisit de se concentrer sur l’endiguement de la propagation des idées socialistes. Clarté, le journal francophone du Parti, est interdit, et les bureaux du Parti font l’objet de vandalisme de la part des fascistes et de descentes de police. Finalement, en vertu de la « loi du cadenas » de Duplessis de 1937, un propriétaire qui louait des locaux à des communistes pouvait voir son immeuble être verrouillé pendant des mois. Puisque les propriétaires doivent prouver qu’ils ne louent pas leur propriété à des communistes et que la définition du communisme est suffisamment vague pour que la loi puisse également être utilisée contre les syndicats, cette loi est un moyen efficace d’étrangler le mouvement ouvrier québécois et un affront aux normes démocratiques.

Les gouvernements libéraux ont également fait preuve de peu de retenue dans la suppression des tentatives de la classe ouvrière de faire avancer ses intérêts par des moyens démocratiques. La Loi sur les mesures de guerre a été invoquée pour la deuxième fois par le gouvernement Mackenzie King et, en 1940, le Parti communiste sera officiellement interdit en vertu du Règlement sur la défense du Canada. Tout comme il l’avait fait 20 ans plus tôt, le gouvernement canadien a utilisé la législation du temps de guerre contre les mouvements de la classe ouvrière et les syndicats. Environ 250 communistes ont été internés en tant que prisonniers et prisonnières politiques, et bon nombre d’entre eux et elles ne retrouveront la liberté qu’en 1942, soit plus d’un an après que le PCC ait soutenu l’effort de guerre. Bien que le gouvernement ait été contraint d’assouplir la persécution des mouvements communiste et ouvrier par le Règlement sur la défense du Canada, le Parti communiste est resté interdit et n’avait aucun moyen simple de prendre part à la politique électorale. Au début, le Parti présente des candidat-es aux côtés d’autres organisations (Dorise Nielsen est élue sous la bannière des Progressistes unis), mais en 1943, il fonde le Parti ouvrier progressiste comme moyen légal de lutte parlementaire.

Le Parti communiste allait bientôt voir certains des fruits de cette lutte renversés à cause de la propagande et de l’hystérie de la guerre froide. En 1945, un membre du personnel de l’ambassade soviétique, Igor Gouzenko, fait défection avec des documents qui contiendraient des preuves d’un réseau d’espionnage soviétique composé de vingt Canadien-nes et dirigé par le député fédéral du Parti travailliste-progressiste, Fred Rose. Le gouvernement fédéral met en place une commission dirigée par deux juges de la Cour suprême, Kellock et Taschereau. Une vingtaine d’individus sont détenus en secret avant d’être traduits en justice, dont Fred Rose. Bien que les preuves pour une condamnation soient quelque peu maigres, et dans certains cas insuffisantes pour des poursuites ordinaires (comme cela avait été reconnu dans les conclusions de la commission), Fred Rose fut opportunément condamné assez longtemps pour être déchu de son siège au Parlement, et il n’y eut à nouveau aucun communiste à la Chambre des communes. Cette série d’événements constitue une violation importante de la procédure juridique standard et une tentative réussie de la part du gouvernement canadien d’écarter un socialiste d’un poste électif. Elle ouvre la voie à d’autres répressions dans les années à venir et est considérée par certains comme la première salve de la guerre froide.

À partir du début de la guerre froide, il est plus difficile de suivre la répression du Parti communiste par le gouvernement, non pas parce que la répression a cessé, mais parce qu’elle a pris un caractère beaucoup plus secret. La manifestation la plus significative de ce phénomène était une liste connue sous le nom de PROFUNC (Prominent Functionaries of the Communist Party). Dans le cadre du PROFUNC, qui a été actif de 1950 à 1983, la GRC a tenu une liste d’environ 66 000 communistes et sympathisant-es afin de pouvoir les arrêter facilement en cas de besoin. Le programme contenait des plans détaillés pour l’internement d’un tel nombre de personnes dans des prisons et autres sites à travers le pays. L’efficacité effrayante du PROFUNC a été constatée lorsque 497 subversifs potentiels ont été arrêtés au cours de la crise d’octobre 1970, lorsque Pierre Trudeau a de nouveau promulgué la Loi sur les mesures de guerre. Comme les deux premières fois où cette loi a été utilisée, elle a surtout servi à arrêter des communistes et des dirigeants syndicaux (sur les 497 personnes arrêtées, seules deux étaient des membres du FLQ). L’aspect le plus inquiétant du PROFUNC est sans doute le fait que, pendant toute la durée de son activité, le public n’a pas eu connaissance de son existence. Alors que le PROFUNC a cessé ses activités en 1983, l’année suivante a vu la création du SCRS, qui a assumé bon nombre des anciennes responsabilités de la GRC en matière de renseignement et de sécurité de l’État.

Les conservateurs, surtout sous le gouvernement Harper, ont été les plus ardents défenseurs de la liberté du SCRS d’empiéter sur la liberté des gens au Canada. Le projet de loi C-51, promulgué en 2015, a considérablement augmenté la capacité du SCRS de recueillir des informations sur les menaces potentielles à la « sécurité du Canada », puis d’agir en fonction de ces informations. De cette façon, le SCRS est en mesure de remplir le rôle historique de la GRC qui consiste à espionner et à perturber les mouvements de gauche qui pourraient constituer une menace pour la sécurité de la classe économique régnante du Canada. Il ne s’agit pas de l’histoire d’il y a 100, 50 ou 30 ans, mais de la réalité actuelle. Erin O’Toole a voté en faveur du projet de loi C-51 en 2015.

Un regard en arrière sur 100 ans d’attaques gouvernementales contre le PCC montre en termes très clairs quel type de démocratie les conservateurs modernes comme Erin O’Toole soutiennent et quel type de démocratie ils vont abattre. Leur démocratie ne peut être qu’une façade pour le maintien du pouvoir de la classe capitaliste. Dès que des mesures démocratiques menacent de renverser le capitalisme ou même simplement d’affaiblir cette classe à laquelle les conservateurs et les libéraux sont si redevables, ils n’hésitent pas à utiliser tous les outils à leur disposition, légalité et moralité mises à part, pour maintenir la classe ouvrière à sa place. Alors que 2021 marque 100 ans d’espionnage anticommuniste, de mensonges, d’arrestations et d’autres formes de répression, il convient de garder à l’esprit que 2021 marque également 100 ans de résistance à ces attaques. Même si la classe capitaliste a disposé de milliards de dollars d’armes, d’espions et de mensonges médiatiques pour faire la guerre aux mouvements de la classe ouvrière, aujourd’hui, de plus en plus de personnes se tournent vers le socialisme en raison de leur désillusion du capitalisme. Une société construite sur une démocratie réellement représentative des intérêts et de la volonté de sa population n’est possible que si des organisations comme le Parti communiste du Canada se battent pour elle.