Par Adrien Welsh
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21 février 1944, Mont Valérien, 15h. Les fusils nazis détonnent et abattent 23 résistants dont la moitié avait moins de vingt-cinq ans. Tous font partie du « groupe » Manouchian, chef des Francs-tireurs partisans de la Main d’œuvre immigrée. Tous sauf deux sont étrangers, beaucoup viennent d’Europe de l’Est, beaucoup sont Juifs tandis que d’autres sont des Républicains espagnols en exil. Tous sont communistes.
L’Organisation de la Main d’œuvre immigrée (MOI) date de 1925, année où le Parti communiste français décide d’organiser les travailleurs étrangers en groupes de langue afin de les intégrer aux combats sociaux et politiques du pays. Lors de la Guerre civile espagnole, beaucoup d’entre eux sont volontaires et servent dans les Brigades internationales : lutter contre le Fascisme en Espagne, c’est lutter contre le nazisme.
En 1942, le Parti communiste français décide d’intensifier son action de résistance, en particulier la résistance armée et crée un corps militaire : les Francs-tireurs partisans (FTP). La Main d’œuvre immigrée suit le mouvement et se dote de son propre détachement, les FTP-MOI. Aux « anciens » aguerris à la lutte en Espagne ou à la lutte clandestine dans d’autres pays occupés s’agrègent de jeunes immigrant-es dans la fleur de l’âge, parfois très jeunes (certains n’ayant pas quinze ans) animés par le désir de lutter contre l’occupant nazi et contre le fascisme.
Dès leur création, les FTP-MOI sont les auteurs de faits d’armes remarquables dans le Paris occupé qui incluent assassinats de haut-gradés nazis, déraillement de trains, bombardements de bâtiments stratégiques pour l’autorité d’occupation, etc. Les attentats se succèdent à un rythme soutenu : on estime qu’en moyenne, la centaine de résistant-es s’adonne à un attentat tous les deux jours.
Ce tableau de chasse est d’autant plus remarquable qu’en 1942, l’Armée allemande connait son apogée. Que des personnes en plein Paris osent l’attaquer parait impensable. La bataille est autant militaire que psychologique : l’idée est de rendre la vie à Paris impossible pour les troupes d’occupation. L’action des FTP-MOI est d’autant plus fondamentale qu’à l’été 1943, tous les autres groupes de résistance sont tombés aux mains de la police qui les traque pour le compte de l’occupant, ou tout simplement dissous par défaitisme.
À l’automne 1943, les principaux éléments du groupe sont arrêtés. Leur procès, très médiatisé, permet aux Nazis comme aux Vichystes de tirer un grand coup de propagande. Ce procès tombe à point donné : entre 1942 et la fin 1943, la toute puissance de l’armée allemande semble révolue et le régime Nazi s’enlise à l’est avec la cuisante défaite de Stalingrad. Or ce procès permet de s’en prendre à la Résistance et de présenter les partisans comme étrangers ou juifs à la solde de Moscou.
Sans surprise, les 23 accusés sont condamnés à mort. Le lendemain de leur exécution, du jour où « les fusils fleurirent », les murs de Paris sont tapissés d’une affiche rouge sur laquelle on voit les portraits de ces combattants de la liberté avec l’inscription en toutes lettres « Des libérateurs? La Libération par l’armée du crime ». On y voit onze des 23 fusillés à l’aspect hirsute et menaçant, leur origine étrangère ainsi que leurs faits d’armes étant également mis en valeur. L’effet recherché est de provoquer, auprès des Français, une aversion envers les maquisards et la Résistance.
Alors que l’on célèbre cette année le 75e anniversaire de la victoire des peuples sur le nazisme et le fascisme, nous devons d’abord nous rappeler que sans des résistants comme Manouchian, Bancic, Alfonso et des milliers d’autres, la Libération n’aurait jamais été possible. Communistes, ils n’ont jamais frémi devant la mort et n’ont jamais vacillé devant les impératifs de lutte.
Nous devons nous rappeler, alors que l’on construit un monument à la gloire des victimes du communisme à Ottawa et que le Parlement européen adopte une motion mettant sur un pied d’égalité communisme et fascisme, que ce sont les communistes qui, bien souvent seuls, ont maintenu leur organisation et livré, de l’intérieur, une résistance héroïque. Ils l’ont fait alors que même De Gaulle appelait dans un premier temps, à résister de l’extérieur, voire en s’appuyant sur les impérialismes britannique et états-unien, mais aussi sur l’empire colonial français.
Enfin, se rappeler l’histoire de ces « vingt et trois étrangers mais nos frères pourtant », c’est souligner, par des temps où l’on entend de plus en plus des discours haineux insinuant que la culture de certains immigrants serait incompatible avec nos valeurs, l’apport des immigrants dans la lutte pour la libération de leur patrie d’adoption. Cet engagement héroïque contraste avec ces « bons Français » qui n’ont pas hésité une seconde à collaborer avec les Nazis. Sans doute qu’aujourd’hui encore, si une occasion similaire se présentait, les Marine Le Pen, Boris Johnson ou même Maxime Bernier de ce monde seraient les premiers à donner dans la collaboration.
Note: plusieurs références de cet article tirent leur origine dans le poème du communiste français Louis Aragon “Strophes pour se souvenir” mis en musique et interprété par Léo Ferré sous le titre “L’affiche rouge”.
1 thought on “La mort n’éblouit pas les yeux des partisans”
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