Cet article a été initialement publié à Clarté, septembre 2020.
Le 21 juin dernier, à l’occasion de la Journée “nationale” des peuples autochtones, la Ligue de la jeunesse communiste du Canada a organisé, de concert avec le Parti communiste et le Congrès canadien pour la paix, un séminaire web intitulé Résistance autochtone contre le militarisme et l’impérialisme du Canada en Bolivie dans lequel le Président légitime de l’État plurinational de Bolivie, Evo Morales, figurait comme orateur principal.
Né dans une famille Aymara modeste de l’Altiplano bolivien, Morales n’a reçu qu’une éducation sommaire. Faute de meilleures opportunités, il échoue dans ce qu’il désigne comme la “synthèse de la pauvreté en Bolivie”, au Tropique de Cochabamba où il travaille comme cultivateur de coca. En plus des conditions de travail difficiles et les salaires de misère, dans les années 1980, les États-Unis, dans leur prétendue guerre contre la drogue, financent le gouvernement bolivien pour qu’il éradique les plantations de coca. Les cocaleros s’organisent et Evo Morales devient une figure de proue de ce mouvement composé surtout d’autochtones.
Ils prennent conscience non seulement de la nécessité de lutter pour des droits sociaux, mais surtout de la nécessité d’exercer le pouvoir politique afin de transformer la Bolivie d’État inféodé à l’impérialisme états-unien et au FMI vers un État social, solidaire; d’un État qui ne soit non plus “colonial”, mais “plurinational”.
Pour Morales, il est clair que la classe dirigeante bolivienne et l’impérialisme états-unien s’accommodent d’octroyer certains droits aux communautés autochtones tels que l’accès à une forme de pouvoir communal, le droit de s’organiser en syndicats, etc. Au fur et à mesure que s’intensifie la lutte, lui et ses compagnons de combat comprennent l’importance de la lutte politique comme prolongement des luttes sociales. Il en a fait le point focal de son discours dont nous reproduisons un abrégé.
“Avec le pouvoir communal, nous ne pouvions pas récupérer nos ressources naturelles. Pour ça, nous avions besoin du pouvoir politique, du pouvoir électoral. […] Avec un pouvoir communal, il était impossible de nationaliser nos ressources naturelles. […]
“Lorsque nous avons gagné les élections, moi-même je n’ai pu croire comment un frère Aymara, habitant en territoire quechua, accusé d’être un narcotrafiquant, un terroriste, pouvait devenir Président. Mais nous avons gagné, nous avons triomphé, et c’est à partir de là que nous avons pu changer notre chère Bolivie. […]”
“Politiquement, nous avons convoqué une Assemblée constituante qui a compté sur la participation du peuple, nous avons remplacé l’État colonial par l’État plurinational.”
“Du point de vue économique, le plus important, c’est que nous avons nationalisé, récupéré nos ressources naturelles et les entreprises stratégiques. De plus, la Constitution prescrit que les services de base représentent des droits humains et non des marchandises. Nous n’acceptons pas, par exemple, comme c’est présentement le cas aux États-Unis, que la vie soit une marchandise.”
“Par rapport à la nationalisation des hydrocarbures, du gaz, je veux que vous sachiez qu’auparavant, ils étaient dans les mains des pétrolières multinationales. Les contrats stipulaient que le gaz […] une fois sorti des puits, appartenait au titulaire, c’est-à-dire aux entreprises pétrolières. Il n’appartenait plus au peuple bolivien. 82% des bénéfices allaient aux multinationales et 18% pour les Bolivien-nes. Nous avons affirmé que sous terre ou extrait, le pétrole et le gaz appartient aux Bolivien-nes. […] Si elles veulent rester ici, elles garderont 18% des profits, et 82% ira aux Bolivien- nes.”
“Nous les avons nationalisées le 1er mai 2006, c’est ce qui a modifié la situation économique du pays. […] Des treize années qu’a durées notre gestion, notre pays a, pendant 6 ans, connu la plus importante croissance économique d’Amérique du Sud. C’était historique pour notre chère Bolivie.”
“Sur le plan social, la redistribution de la richesse, les programmes d’investissement sociaux, je pourrais m’étendre longuement. Mais le plus important, c’est de savoir ce que dit le système capitaliste. Il dit aux pauvres “sauvez-vous comme vous le pouvez”. Il n’y a pas d’investissement social. […]”
“Mais je voudrais prendre le temps de vous parler brièvement du coup d’État. […] Ce coup d’État a été un coup du Gringo contre l’Indien, contre le modèle économique et un coup pour le lithium.”
“Malheureusement, certains groupes de la classe dirigeante disent qu’ils ont étudié pour gouverner les Indiens en maitres et n’acceptent pas que le mouvement autochtone ait prouvé qu’il est en mesure d’administrer un État avec une croissance économique, réduction de la pauvreté et des inégalités. De plus, avant notre “Révolution démocratique et culturelle”, […] ils nous faisaient croire que la Bolivie se meurt et que pour cette raison, nous devions suivre des politiques néolibérales.”
“Néanmoins, nous, le mouvement autochtone, les mouvements sociaux, bien sûr avec l’aide d’intellectuel-les patriotes, nous avons prouvé qu’une autre Bolivie est possible sans le FMI.”
“Quant au Lithium, nous avons décidé d’en industrialiser sa transformation plutôt que d’envoyer la matière première en Occident. Dès le début, nous avons obtenu de bons résultats, mais nous ne voulions plus des États-Unis. C’est là qu’est venu le coup. […]”
“Soit nous sommes avec le peuple, ou avec l’Empire. Il n’y a pas d’alternative. Soit nous sommes du côté des marginalisés, des exclus, des pauvres, ou de celui des riches […]; soit nous sommes socialistes ou nous sommes capitalistes. Je ne comprends pas ces frères qui disent être neutres, indépendants. En période d’injustice, celui qui se dit “neutre” est du côté de l’oppresseur.”
u-delà de la qualité politique de ce dis- cours, c’est une véritable leçon de magistrale que nous a servie Evo. Sans équivoque, il répond à tous ceux et celles qui estiment que les mouvements sociaux, syndicaux ou le pouvoir communautaire suffisent dans la lutte vers la transformation sociale. Cette leçon, il l’a apprise non pas par l’étude de textes théoriques marxistes, mais “à la dure”, à travers l’expérience de sa propre lutte, celle des autochtones et de la classe ouvrière de Bolivie, leur résistance héroïque dans le Tropique de Cochabamba, mais aussi à El Alto lors de la “Guerre de l’Eau”. Cette résistance continue au quotidien, pour le maintien des élections, contre le gouvernement fantoche de Áñez, pour le retour du MAS et d’Evo au pouvoir, pour le maintien de l’État plurinational.
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