Cet article a été initialement publié dans Jeunesse Militante 27 (printemps 2021). Notre dernier numéro est maintenant disponible – abonnez-vous maintenant pour lire des articles exclusifs !
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Brenden Rodri, Victoria (traduction: Igor Sadikov)
D’innombrables luttes sont liées à l’expansion de l’extractivisme et au capital qu’il génère tant pour les entreprises que pour les États qui parrainent l’activité extractive impérialiste. L’État canadien soutient et protège la bourgeoisie dans ses efforts d’exploitation et de destruction dans le monde, ce qui a des effets sociaux, politiques, environnementaux et économiques.
Les peuples autochtones et leurs territoires sont constamment attaqués par l’expansionnisme extractif capitaliste. Comme le capital est incapable de soutenir son désir désespéré de croissance dynamique – qui aboutit inévitablement à la stagnation et à la crise – il doit chercher de nouvelles sources de profit. L’un des principaux résultats est la vaste et constante expansion du capital. Le cas des Wet’suwet’en en est un exemple évident. Le Canada apporte un soutien indéfectible à Coastal GasLink en y fournissant du capital et des ressources et défend ses opérations sur des territoires autochtones non cédés, notamment par le déploiement de la GRC et par les lois coloniales impérialistes qui protègent les projets d’extraction.
L’Amérique latine
Le Canada abrite plus de 70 % des compagnies minières du monde, et la plupart d’entre elles opèrent dans les pays du Sud, y compris dans des dizaines de pays parmi les plus pauvres du monde ; ceux-ci sont souvent plus vulnérables et donc accessibles aux opérations impérialistes. En fait, les opérations minières canadiennes sont présentes dans 96 pays (2019), tandis que le total des « actifs miniers canadiens » s’élève à plus de 262,2 milliards de dollars. L’État canadien a pris part dans de nombreux coups d’État dans les pays du Sud géopolitique, souvent à des fins extractivistes. L’Amérique latine a toujours été une cible pour les opérations minières canadiennes. Parmi les exemples dans cette région, citons : le Guatemala, 1954 ; le Chili, 1973 ; Haïti, 2004 ; le Honduras, 2009 ; la Bolivie, 2019 ; et le Venezuela, présentement.
Honduras
En 2019, 197 sociétés minières canadiennes ont pillé l’Amérique latine. Celle-ci a été ravagée par des compagnies minières comme la société canadienne Goldcorp, qui a exploité une mine d’or à ciel ouvert tristement célèbre dans la vallée de Siria au Honduras : la mine San Martin. La vallée de Siria abrite les peuples autochtones Lenca, mais pour les impérialistes, l’existence des peuples autochtones n’a jamais été une raison pour arrêter l’extractivisme capitaliste. Les compagnies minières prédatrices – soutenues et souvent financées directement par l’État canadien – ont toujours été libres de ravager les territoires, les communautés et les moyens de subsistance des peuples autochtones partout où se trouvent leurs intérêts.
Lorsque la mine de San Martin a été ouverte en 2000, 8 % des personnes vivant dans la région souffraient d’une forme de maladie de la peau. En 2010, ce taux a augmenté pour atteindre le chiffre stupéfiant de 80 %. Des femmes de 30 ans perdaient leurs cheveux, des taux élevés de plomb ont été détectés dans le sang des résidents et une femme a même perdu ses jumeaux à cause d’un empoisonnement à l’arsenic. La contamination et la destruction de l’environnement étaient également évidentes, les terres et les cours d’eau entourant des mines comme celle de San Martin ayant été entièrement contaminés par des produits chimiques industriels. Cette mine à ciel ouvert, détenue et exploitée par des Canadiens, utilisait des méthodes d’extraction bon marché, qui ont eu des effets toxiques dévastateurs en raison de la lixiviation de produits chimiques tels que le cyanure, souvent utilisé pour ameublir la terre et faciliter l’extraction de l’or et des minéraux. Outre la contamination et la destruction de l’environnement, les peuples autochtones – y compris les défenseurs de l’eau et de la terre – ont affronté la police et les forces paramilitaires honduriennes, ce qui a mené à des meurtres et des disparitions. Ces forces de police et paramilitaires sont souvent entraînées par des forces occidentales sous le prétexte d’opérations contre-insurrectionnelles.
Les effets dévastateurs sur les peuples autochtones et sur leurs terres ont été (sans surprise) ignorés par l’État canadien et les grands médias canadiens. Goldcorp n’a fait l’objet d’aucune sanction, étant même citée comme un exemple de « responsabilité sociale » et comme l’une des 100 meilleures entreprises canadiennes où travailler par de nombreux médias canadiens, dont le Globe and Mail et le National Post.
Bolivie
En Bolivie, un chapitre important des opérations impérialistes extractives s’est déroulé en novembre 2019. Le président Evo Morales, du parti MAS, a été accusé de fraude électorale et d’actions anticonstitutionnelles par l’opposition bolivienne après sa victoire électorale écrasante. Cela a conduit à un coup d’État mené par Jeanine Áñez – dont le parti n’a obtenu que 4,24 % des voix lors des élections présidentielles – soutenu par des chefs militaires réactionnaires et ouvertement fascistes. L’Organisation des États américains (OEA) a soutenu l’éviction d’Evo Morales et a publié des déclarations trompeuses sur les élections, ce qui a directement contribué au coup d’État et aux dizaines de meurtres perpétrés par des unités paramilitaires fascistes et par des forces favorables au coup d’État. Mme Áñez s’est autoproclamée « présidente par intérim de la Bolivie » après la démission de Morales, qui s’était réfugié au Mexique. Des marches et des manifestations massives ont suivi, menées en grande partie par les peuples autochtones et les Bolivien-nes de la classe ouvrière. En conséquence, des dizaines de personnes ont été assassinées par la police et l’armée boliviennes, des centaines d’autres ont été blessées, et Áñez a pu conserver le pouvoir avec le soutien de ses complices fascistes. L’un de ces complices, Luis Fernando Camacho, est un fondamentaliste chrétien qui a été impliqué dans l’Union de la jeunesse crucéniste (UJC), connue pour ses saluts de style nazi et la terreur qu’elle fait régner sur les peuples autochtones de Bolivie. Áñez elle-même a tweeté en 2013 : « Je rêve d’une Bolivie débarrassée des rites sataniques indigènes, la ville n’est pas faite pour les Indiens, qu’ils retournent dans les montagnes ou les champs. »
Sans surprise, le coup d’État ignoble et sanglant en Bolivie a été soutenu par de nombreux pays occidentaux, notamment les États-Unis, l’Allemagne et le Canada. Ce soutien s’explique sans doute par le fait que la Bolivie possède la deuxième plus grande réserve de lithium au monde et que le lithium est un composant crucial des nouvelles technologies vertes utilisées dans les batteries des véhicules électriques et dans les panneaux solaires. Le coup d’État sanglant a été une excellente occasion pour les pays impérialistes comme le Canada d’établir de nouvelles liaisons dans le but d’extraire du lithium pour la technologie verte. Juste avant le coup d’État, Evo Morales avait abandonné un plan qui aurait cédé les ressources en lithium à une compagnie minière allemande, y préférant une combinaison de nationalisation et d’investissement chinois. Bien sûr, le Canada était l’un des nombreux pays impérialistes à trouver cela inacceptable, car le plan de Morales ne favoriserait pas les compagnies occidentales comme Tesla Motors. Le soutien du Canada au coup d’État fasciste, anti-autochtone et raciste en Bolivie n’est qu’un exemple de sa longue histoire de violence en Amérique latine.
Chili
Le Chili fournit un autre exemple du soutien apporté par le Canada à des régimes fascistes au nom du profit extractiviste. La compagnie Barrick Gold, une énorme société minière basée au Canada qui opère en Amérique latine, en Amérique du Nord, en Asie et en Afrique, est tristement célèbre pour son amour du fascisme et ses liens avec le dictateur meurtrier Augusto Pinochet.
En septembre 1973, le président démocratiquement élu du Chili, le Dr Salvador Allende, a été évincé et assassiné à la suite d’un coup d’État militaire soutenu par la CIA et dirigé par le général Augusto Pinochet. Les projets socialistes d’Allende – tels que la redistribution des revenus, la réforme agricole et la nationalisation des industries – constituaient une menace pour l’industrie et l’extractivisme occidentaux. Quelques jours après le coup d’État, des milliers de partisans d’Allende ont été rassemblés et emmenés au Stade national pour y être exécutés. L’artiste et chanteur folklorique bien-aimé Victor Jara a eu les mains fracassées et a été pendu à l’extérieur du stade. Dans les années qui ont suivi le coup d’État, des dizaines de milliers de Chilien-nes ont été enlevé-es, torturé-es ou assassiné-es par les autorités fascistes de Pinochet ; la plupart d’entre eux et elles étaient des socialistes, des communistes et d’autres opposant-es du nouveau régime. Sous le règne de Pinochet, de vastes privatisations ont été menées à bien, tandis que la classe ouvrière souffrait énormément. Les syndicats ont été écrasés, les droits des travailleur-ses ont été sapés et le nombre de personnes vivant dans la pauvreté est passé de 20 % en 1970 à 41 % en 1990. Tout cela a été salué par le FMI, la Banque mondiale et les pays impérialistes du Nord, y compris le Canada, qui avait auparavant annulé toute aide au Chili sous Allende. Les impérialistes ont dû se réjouir d’apprendre l’existence du Palacio de las Sonrisas (le palais du rire) de Pinochet, la tristement célèbre chambre de torture. Bien sûr, Trudeau père a reconnu le gouvernement d’Augusto Pinochet quelques semaines seulement après le coup d’État sanglant, car le Chili était désormais « ouvert aux affaires ». Pierre Trudeau aurait été fier de Justin Trudeau, qui a soutenu le régime similaire du coup d’État bolivien (tel père, tel fils!). Alors que le sang coulait dans les rues de Santiago et de La Paz, à des décennies de distance, Trudeau père et fils échangeaient tous deux des plans d’affaires avec les deux gouvernements fascistes. Malgré la vaste destruction du Chili par Pinochet (privatisation, assassinat systématique des opposants de gauche, etc.), les économistes de droite ont donné à cette période le nom de « miracle chilien ».
Le triangle amoureux fasciste : le Canada, Pinochet et Barrick Gold
Pendant le règne destructeur de Pinochet sur le Chili, le pays a été transformé en un paradis de bas salaires pour les multinationales. Le code du travail chilien a été détourné contre le prolétariat, et les terres et les cours d’eau chiliens ont été ravagés par la contamination et la destruction de l’environnement. La réglementation en matière de travail et d’environnement a peu changé depuis l’époque de Pinochet. Les entreprises canadiennes se sont imposées comme une présence dominante, car le Canada était le plus grand investisseur minier au Chili après le règne de terreur de Pinochet (1997), ayant investi 4 milliards de dollars dans des projets. En 2021, le Canada possède encore des actifs miniers d’une valeur de plus de 1,4 milliard de dollars au Chili.
À Toronto, le 9 mai 1996, Peter Munk, président de Barrick Gold, faisait l’éloge d’Augusto Pinochet pour avoir « transformé le Chili d’un État socialiste destructeur de richesses en un modèle favorable au capital qui est copié dans le monde entier ». Le Canada et ses compagnies minières ont profité de la situation fracturée du mouvement ouvrier au Chili, ainsi que de l’absence de réglementation environnementale. Les travailleurs chiliens des mines d’El Indio et de Tambo, à l’emploi de Barrick Gold, ont déclaré qu’ils ne recevaient qu’une fraction du salaire que recevaient les travailleurs canadiens (souvent un quart). Les travailleurs tombaient également malades de pneumonie, de bronchite, d’insuffisance rénale, de cancer des testicules, de silicose et d’empoisonnement à l’arsenic. Barrick Gold a ignoré les règles de sécurité et les accidents de travail étaient fréquents – beaucoup ont été tués par des chutes de débris, des avalanches ou des empoisonnements. La guerre contre le prolétariat instaurée par le gouvernement fasciste de Pinochet a permis aux multinationales prédatrices comme Barrick Gold d’exploiter à la fois les travailleurs et la terre. Lorsque les communautés ont organisé la résistance contre les compagnies minières et les opérations extractives impérialistes, la police chilienne a été engagée pour les réprimer brutalement.
Barrick Gold continue d’exploiter des mines à plusieurs endroits au Chili. Récemment (2020), le premier tribunal environnemental du Chili a ordonné la fermeture de la partie chilienne de la mine de Pascua Lama après deux décennies de contestations juridiques et de protestations publiques. Malgré cela, Barrick Gold reste opérationnelle dans d’autres régions et continue de rechercher des projets d’extraction potentiels dans les zones environnantes.
Les compagnies minières canadiennes en Afrique
En date de 2019, 94 sociétés minières canadiennes opèrent de façon prédatrice en Afrique, extrayant des minéraux tout en déstabilisant les communautés locales avec le soutien du Canada. « L’Afrique de l’Ouest a plus de potentiel que toute autre région du monde. Sa géologie est similaire à celle du nord de l’Ontario, du Québec ou de l’Australie occidentale – des ceintures exceptionnellement prolifiques », a déclaré Richard Young, directeur du groupe minier canadien Teranga Gold Corporation, qui est actif au Sénégal et au Burkina Faso. Barrick Gold est également très impliquée dans l’extraction de minéraux en Afrique : la société est active au Mali (quatrième producteur d’or d’Afrique) depuis plus de 15 ans, ainsi qu’au Burkina Faso, au Sénégal et en Côte d’Ivoire. La société torontoise IAMGOLD est une autre entreprise de la région qui croît présentement ses activités, tout comme les sociétés B2Gold et Robex Industries au Mali.
Quant au soutien du Canada à l’extractivisme impérialiste, tous les principaux partis politiques du Canada sont sur la même longueur d’onde et, dans de nombreux cas, la « gauche » s’est avérée aussi belliqueuse que les conservateurs ou les libéraux. Citons le recours à la violence pour construire des pipelines sur des territoires autochtones non cédés du premier ministre néo-démocrate de la Colombie-Britannique, John Horgan, ainsi que le soutien à l’engagement militaire du Canada du porte-parole du NPD en matière de défense, Randall Garrison, qui a même poussé le gouvernement libéral à prolonger de six semaines la campagne militaire canadienne au Mali après avoir visité le pays en 2019. Le Canada est impliqué militairement au Mali depuis de nombreuses années, notamment dans le cadre de la Mission intégrée multidimensionnelle des Nations Unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA), suite à un coup d’État militaire en 2012. Le Canada a fourni entre 230 et 260 soldats et du matériel en 2018-2019, et un certain nombre de soldats canadiens et d’agents de la GRC demeurent encore au Mali aujourd’hui. Bien entendu, cette « stabilisation » du Mali (par une occupation étrangère, bien sûr) a solidifié la présence des entreprises extractives occidentales comme Barrick Gold et IAMGOLD. Tout comme en Amérique latine, les troupes canadiennes ont formé les forces militaires et policières maliennes à des fins impérialistes extractives, dont certaines ont pris part au plus récent coup d’État militaire en août 2020. Auparavant, le Canada a soutenu l’opération Serval, une offensive militaire majeure menée par l’ancien colonisateur du Mali, la France, qui reste encore profondément impliquée au Mali par le biais de sociétés minières d’uranium comme Areva.
Conclusion : le business as usual pour les impérialistes
Le vaste réseau d’entités extractives s’est développé de façon spectaculaire au cours des dernières décennies, donnant naissance à une industrie minière internationale monopolisée. La croissance massive de l’industrie et la concentration remarquable de la production dans des entités corporatives en expansion sont des traits caractéristiques du capitalisme actuel.
L’impérialisme extractif est enchevêtré dans la politique étrangère canadienne ; un vaste réseau de compagnies minières prédatrices a pris au piège de nombreux pays du Sud, extrayant des minéraux et récoltant de vastes profits, tandis que les sociétés canadiennes continuent de faire de même sur les territoires autochtones non cédés avec la bénédiction et le soutien indéfectible de l’État colonial. Le sang est sur les mains de ceux qui profitent de l’impérialisme extractif : la bourgeoisie canadienne, les compagnies minières, les politiciens qui les soutiennent, l’État canadien… Quand viendra le temps pour eux de répondre de leurs crimes odieux ? Pas assez tôt. Le business as usual néolibéral doit prendre fin. Grâce à la solidarité mondiale et à la lutte des classes, le prolétariat international sera en mesure de porter des coups écrasants à la machine impérialiste extractive.
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