Depuis quelques jours, un courriel circule auprès des près de 30 000 délégués au 19e Festival mondial de la jeunesse et des étudiants (FMJE) prétendant que le prochain aurait lieu à nouveau à Sotchi en 2024 et appelant à s’y enregistrer dès maintenant. Or, la Fédération mondiale de la jeunesse démocratique (FMJD), seule organisation légitimée à lancer un tel appel, n’a jamais été consultée à cet effet. Il s’agit donc d’une supercherie qui cherche à exploiter l’histoire morale du mouvement des FMJE au profit des monopoles contrôlant Fédération de Russie et en la dévoyant. C’est également un moyen d’entretenir une confusion totale au sujet de l’impérialisme et de la lutte anti-impérialiste dans un contexte global où une guerre mondiale possiblement nucléaire n’est plus une simple menace rhétorique.
Au début de l’année 2016, le Conseil général de la FMJD vote à l’unanimité la tenue du 19e Festival mondial de la jeunesse et des étudiants à Sotchi en octobre 2017. Pour plusieurs délégations notamment africaines, asiatiques et sud-américaines, c’était l’occasion de témoigner de son appui à la Fédération de Russie dans un contexte de lutte contre l’impérialisme états-unien. Pour les délégations d’Europe et d’Amérique du Nord, mais aussi pour les différents représentants d’organisations de jeunesse communiste, c’est surtout l’idée de célébrer le Centenaire de la Révolution d’octobre et sans doute une forme de pragmatisme qui a pesé dans la balance et suscité un appui critique au projet.
Il faut en effet se rappeler qu’organiser un évènement d’une telle ampleur – sans contredit le plus important rassemblement anti-impérialiste et sans doute l’un des plus importants rassemblements de jeunes à travers le monde – ne peut se faire sans appui étatique. Or, les États susceptibles d’organiser un tel évènement se font de plus en plus rares. La Russie démarchait certaines organisations depuis aussitôt que 2013 (date du 18e FMJE qui s’était tenu à Quito, en Équateur) et avait dévoilé en grande pompe son projet en 2015 lors de l’Assemblée générale de la FMJD tenue à La Havane. S’agissant du seul pays en lice, et compte-tenu du fait qu’il était inconcevable de ne pas célébrer le Centenaire de la Révolution d’octobre, nous nous sommes ralliés à la proposition.
Si certaines organisations ont carrément boycotté l’évènement, la Ligue de la jeunesse communiste du Canada a décidé d’y participer, mais de le traiter différemment par rapport aux autres années. En effet, alors que lors des éditions précédentes, le FMJE représentait un élément structurant pour les jeunes communistes puisque nous travaillions d’arrache-pied afin de rassembler un maximum de jeunes progressistes pour former une délégation pan-canadienne (à Quito, nous étions une soixantaine), pour Sotchi, nous avons plutôt décidé d’errer de prudence et n’inviter que nos membres et certains amis proches.
Nous envisagions en effet plusieurs problèmes politiques. Nous avions vu juste!
Dès la 1e Réunion préparatoire internationale tenue à Caracas en juin 2016, il était clair que les autorités russes avaient une approche diamétralement opposée à celle de la Fédération mondiale de la jeunesse démocratique, censée être la seule organisation chargée du contenu. Là où la FMJD appelait à former un festival d’abord politique, la Fédération de Russie poussait pour un festival complètement dépolitisé. Heureusement, cette proposition a été battue à très forte majorité.
Or, comprenant que la FMJD demeurait droite dans ses bottes et ne se laisserait pas intimider, les autorités russes ont décidé de violer les procédures de préparation du Festival et de ne plus coopérer avec elle. Elles ont donc élaboré leur propre programme, invité leurs délégués à la barbe des comités préparatoires nationaux, tergiversé jusqu’à la dernière minutes afin de permettre à la FMJD d’organiser ses activités, voire induit en erreur différentes délégations en percevant les frais de participation en lieu et place de la Fédération, etc.
Comble du ridicule, ce festival censé être anti-impérialiste était subventionné par MasterCard, Rosneft et Sberbank (dont le patron était invité d’honneur). Plus tragique encore, les autorités russes ont accrédité des centaines de délégués indiens du parti au pouvoir alors que les centaines mobilisées par les organisations membres de la fédération (organisations de masse des deux partis communistes) n’avaient même pas de logement… Et que dire de l’accréditation de jeunes israéliens membres du Likoud, parti de Nétanyahou alors que des centaines de jeunes militants palestiniens étaient présents sur les lieux? De même, alors que le Festival honorait la mémoire du chef historique du Front Polisario, Mohamed Abdelaziz, les délégués du Sahara occidental ont vu, en plein vol, leur visa refusé et ont par conséquent dû retourner vers Tindouf. Pourtant, le Festival était bien garni en barbouzes marocains qui faisaient la promotion de leur colonisation du Sahara.
Pour un festival anti-impérialiste, on repassera!
On peut également ajouter les intimidations contre des organisations de jeunes communistes à qui on a saisi le matériel d’agitation et propagande souvent destiné au Festival, le fait que le Président de la FMJD ait dû se battre pour avoir le droit de parole lors de la cérémonie d’ouverture (et son allocution a été coupée par les médias russes), la lutte pour avoir le droit, un matin, de manifester (clandestinement) en honneur de la Révolution d’Octobre…
La liste serait longue, mais ce qui est certain, c’est que le festival de Sotchi n’avait rien d’un Festival mondial de la jeunesse et des étudiants et ce, malgré les efforts fournis par la FMJD et ses organisations membres qui, malgré les contraintes, ont bravé les interdits et conféré un caractère politique et anti-impérialiste à ce complexe de rassemblements – car non, il n’y avait pas un, mais plusieurs festivals et la FMJD n’en était qu’une composante. Bien souvent d’ailleurs, nous avons été victimes du dédain de délégués qui ne comprenaient pas une telle présence de communistes!
Or, bien plus qu’à Poutine, l’existence des Festivals mondiaux de la jeunesse et des étudiants, on la doit aux jeunes communistes et à ces milliers de jeunes qui, en novembre 1945 à Londres, se sont réunis afin d’unir la jeune génération sous l’égide de la paix et de la lutte contre le système qui engendre les guerres. Même à l’époque moderne, la survie de ce mouvement, on la doit à Fidel lui-même qui s’est personnellement engagé, en 1997, à organiser le premier festival post-1990 afin de permettre aux forces anti-impérialistes de se réunir envers et contre la doxa de l’époque qui prônait la fin de l’histoire.
Bien sûr, au cours des décennies, certains festivals ont été mieux organisés que d’autres, certains ont même dû être annulés (on peut penser à celui d’Alger qui n’a pas eu lieu puisqu’à l’été 1965, un coup d’État secouait le pays) quand d’autres ont dû composer avec des réalités politiques complexes. Par contre, aucun n’a trahi l’esprit même – et par conséquent l’espoir – du mouvement avant celui de Sotchi.
Le gouvernement russe a dépensé au bas mot 3,5 milliards de roubles pour dévoyer le FMJE et en instrumentaliser l’appui moral qu’y vouent un grand nombre de citoyens dans le but d’en faire une manifestation d’appui de la jeunesse mondiale à la Fédération de Russie et ce, à quelques mois des élections…
En postmortem, la FMJD n’a pas hésité à dénoncer les dynamiques de ce Festival. Par contre, la Fédération de Russie ne s’est pas arrêtée là!
En effet, quelques mois plus tard, différents courriels ont été envoyés aux différents participants du FMJE de Sotchi dans le but de maintenir un certain réseau. Résultat des courses : aujourd’hui, elle prétend organiser un Festival en 2024 à Sotchi…
Cette annonce n’est pas étonnante puisqu’elle intervient au beau milieu d’une guerre de l’OTAN contre la Russie par Ukraine interposée. Il n’est pas étonnant donc que le gouvernement russe cherche une certaine validation par la jeunesse du monde. Par contre, le fait de construire cette initiative sur le dos de la FMJD est inacceptable pour la jeunesse du monde.
Ceci entretient une confusion de plus en plus manifeste au sujet de l’impérialisme, comme si toute opposition aux États-Unis était bonne à prendre. Or, l’impérialisme est un système global avec pour base l’union du capital bancaire et industriel. Ce n’est pas l’apanage d’un pays sur d’autres, mais la domination et la prédation du capitalisme arrivé à son stade ultime sur l’ensemble des travailleur-euses.
Participant de cette confusion, on note la prétendue « Plateforme anti-impérialiste » qui ne voit aucun problème à travailler avec des groupes fascisants espagnols dont le leitmotiv est d’unir le républicanisme et le franquisme, le parti au pouvoir au Venezuela dont la préoccupation principale est l’illégalisation du Parti communiste plutôt que la lutte contre les forces pro-impérialistes ainsi qu’un groupe nébuleux au Royaume-Uni et en Corée du Sud.
Dans un tel contexte, il convient de rappeler que les seules, uniques et vraies non pas « plateformes » mais organisations anti-impérialistes sont les suivantes : la Fédération internationale démocratique des femmes (FIDF), la Fédération mondiale de la jeunesse démocratique (FMJD), le Conseil mondial pour la paix (CMP), la Fédération syndicale mondiale (FSM) et la Rencontre internationale des partis communistes et ouvriers (RIPCO).
Ainsi, à cette jeunesse potentiellement intéressée par le « festival » russe prévu en 2024 et qui manifeste des propensions anti-impérialistes, nous proposons plutôt d’être patiente et d’attendre la proposition du festival officiel de la FMJD…
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