Adrien Welsh, membre du LJCQ
En 2017, à Ouagadougou, Emmanuel Macron prononce un discours dans lequel il s’engage à trancher avec la Françafrique et établir de nouvelles relations entre la France et ses anciennes colonies. Devant le peuple burkinabé, qui venait de se débarrasser de son ancien président, Blaise Compaoré, figure clé de cette forme particulière de néocolonialisme, le discours fait mouche.
Pourtant, à peine quatre ans plus tard, Macron prouve à l’Afrique et au monde entier que les réseaux de la Françafrique tissés entre autres par Jacques Foccart et ses successeurs sont bien là pour rester.
En effet, à la mort du dictateur tchadien Idriss Déby, décédé dans des circonstances nébuleuses le 20 avril dernier alors qu’il était en déplacement au nord pour mater une rébellion, Emmanuel Macron s’est empressé de reconnaître le fils Déby, Mahamat Idriss comme président de transition ainsi qu’un groupe de 14 officiers qui assument tous les pouvoirs pour une période de 18 mois au terme de laquelle des élections doivent être organisées.
À cette occasion, Macron déclare : « La France ne laissera jamais personne remettre en cause la stabilité et l’intégrité du Tchad. » Il ne semble pas s’inquiéter outre mesure du fait que cette manœuvre viole la constitution qui prévoit qu’en cas de décès du président, le porte-parole du gouvernement assume le pouvoir pour une période de 45 à 90 jours.
Devant ce putsch, les opposant-es ont appelé les Tchadien-nes à prendre la rue le 27 avril. Des centaines de rassemblements et manifestations ont eu lieu à travers le pays et réclament le départ de Mahamat Idriss Déby et la formation d’un gouvernement de transition chargé d’organiser des élections le plus rapidement possible. Elles sont réprimées durement faisant au moins six morts. La France a certes haussé le ton, pour la forme, en condamnant la répression de ces manifestations. Elle a même accueilli certains militants de l’opposition, mais dans un but tout autre que celui de les écouter. Au contraire, les officiels de l’ambassade à N’Djamena leur ont plutôt demandé de cesser les manifestations et de « faire avec » le Conseil de transition!
Il faut d’emblée comprendre qu’Idriss Déby, qui venait de remporter son sixième mandat à la tête du pays le 11 avril à la suite d’une campagne électorale marquée par des irrégularités et des tentatives d’intimidation des partis d’opposition, a toujours été fidèle à la France et à ses intérêts. D’aucuns le comparent à cet égard à l’Ivoirien Félix Houphouët-Boigny.
En outre, Déby, militaire formé en France lui-même, accède au pouvoir par un coup d’État avec l’aide de la France de François Mitterrand en 1990. Son prédécesseur, Hissène Habré, qui avait joué le jeu de la Françafrique, commençait à s’en distancer à se rapprocher des États-Unis. Déby doit d’ailleurs la longévité de son pouvoir à la France qui a dû intervenir en 2004, 2006 et 2008 en sa faveur.
Pour la France, le Tchad représente l’un des piliers importants de sa politique africaine, notamment grâce à sa position géostratégique. À cheval entre l’Afrique du Nord, l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique équatoriale et centrale, son contrôle en fait une arrière-base importante en plus de bénéficier de plusieurs routes d’accès à des ressources stratégiques.
D’ailleurs, ces dernières années, le Tchad a surtout servi les intérêts des impérialismes français et occidental en abritant le poste de commandement des forces Barkhane et G5 du Sahel. Ces forces inter-armées comptent 10 000 combattants dont 5000 français et remplacent les opérations Serval et Épervier, lesquelles avaient permis à la France, sous prétexte de combattre les forces djihadistes dans la bande sahélo-saharienne (notamment au Mali), d’y accroitre leur présence militaire.
Ajoutons qu’en bon élève des impérialistes, Idriss Déby s’est rendu en 2018 en Israël avec pour but de renouer des relations diplomatiques rompues depuis 1972. Cette visite avait sans doute pour second objectif de conclure un contrat d’armement.
En termes de ressources naturelles, le Tchad comptait jusqu’à récemment principalement sur le pétrole. Or, avec la baisse des cours du brut, l’État a revu sa politique économique et s’est tourné vers l’or présent dans le nord du pays, mais exploité de façon plutôt artisanale jusqu’à tout récemment. Le problème ici est que la région où ces filières sont situées est limitrophe à la Libye, bombardée puis détruite par l’invasion impérialiste occidentale. Dirigée depuis par des seigneurs de guerre lourdement armés qui rivalisent pour le contrôle des ressources du pays, certains groupes factieux se sont réfugiés au Tchad et s’adonnent à l’orpaillage pour financer leurs activités guerrières. Devant eux, mais aussi contre l’État qui tente de faire main basse sur cette ressource et la brader aux entreprises multinationales étrangères, les populations locales ont constitué des milices d’autodéfense réclamant des garanties financières en cas de déplacements liés aux opérations minières.
Devant cette situation particulièrement complexe, on comprend que deux communautés d’intérêts s’affrontent. D’un côté, ceux du peuple tchadien et de ses aspirations au développement et à la souveraineté de son pays puis, de l’autre, les plans de l’impérialisme, plus particulièrement de la Françafrique et des entreprises multinationales pour la région. Pendant les trois décennies où il a assumé le pouvoir, il a plongé son pays dans un sous-développement économique chronique et dans une situation d’inféodation à l’ancienne puissance coloniale.
Malgré une armée relativement forte, l’une des plus organisées de la région, Déby n’a pas su assoir son autorité. Il n’a pas su non plus garder le pays sous contrôle, le plongeant dans un chaos relatif permettant de justifier l’envoi de nouvelles troupes et d’accroitre la présence française dans la région au moment opportun. Ce moment opportun, les impérialistes, pompiers et pyromanes à la fois, l’ont provoqué en détruisant la Libye et en laissant des djihadistes armés proliférer et écumer la région. C’est sous ce prétexte que la Force Barkhane a été créée, mais il ne fait aucun doute que le but avoué est surtout de renforcer les positions des impérialismes français et occidental dans un contexte où de nouvelles puissances économiques font leur apparition, notamment la Chine.
Le maintien de Mahamat Idriss Déby, ce n’est pas, comme le prétendent les partisans de la Françafrique, la garantie de la stabilité, mais la poursuite du statu quo, du maintien du Tchad dans le giron de l’ancienne puissance coloniale sur tous les plans. C’est aussi renforcer le Tchad comme avant-poste de l’impérialisme français et occidental dans un contexte délétère où l’Algérie est en pleine ébullition, le Sahara Occidental s’engage dans une guerre contre le Maroc, autre allié de taille de l’impérialisme, et où un autre pilier de la Françafrique, la Côte d’Ivoire, vacille.
Quant aux autres impérialistes, notamment États-Uniens qui, depuis quelques années, accroissent leur présence sur le continent, ils semblent s’être faits à l’idée d’un partage des tâches en laissant la France gérer ses anciennes colonies tout en participant au pillage systématique des ressources.
Pour ce qui est du Canada, il ne fait aucun doute que ce statu quo est une aubaine, surtout lorsque l’on sait que depuis quelques années, les entreprises minières canadiennes en Afrique de l’Ouest se font de plus en plus présentes, notamment au Mali et au Burkina Faso (deux pays qui participent à la force Barkhane). Avec plus de 8 millions d’onces d’or par année extraites de la région, il y a fort à parier que d’ici peu, les filières d’or du nord du Tchad seront prises d’assaut par ces mêmes entreprises. Pour s’en convaincre, il n’y a qu’à entendre les PDG de ces compagnies florissantes comme Richard Young, de la minière TCG, qui affirme que souhaiter « travailler dans des pays où les gouvernements sont favorables aux investissements étrangers, et il s’avère que l’Afrique de l’Ouest francophone veut développer son exploitation minière. »
Il ne croyait pas si bien dire : récemment, Idriss Déby a modifié le code minier du pays sous prétexte de modernisation, mais tout en garantissant qu’il serait « attrayant » pour les investisseurs étrangers…