Igor Sadikov, membre de la LJCQ
La deuxième vague de la pandémie de COVID-19, que le Canada peine à contenir, ne fait qu’aggraver l’effet de décennies d’austérité et de sous-investissement en matière de santé. Les communautés autochtones en particulier continuent à faire face à un manque criant en matière d’accès aux soins de santé. L’Organisation des chefs du Sud (SCO), représentant 34 nations autochtones du Manitoba, a décidé d’aborder ce problème en se tournant vers Cuba, un pays où une voie de développement socialiste et durable a permis de construire un système de santé de renommée mondiale – mais le gouvernement canadien, dans son arrogance impérialiste, lui a opposé une fin de non recevoir.
Internationalisme médical
Depuis la révolution de 1959, l’accès aux soins médicaux gratuits pour tous est un droit humain consacré dans la constitution cubaine. Afin d’assurer ce droit à l’ensemble de la population, le gouvernement révolutionnaire a construit des hôpitaux et des cliniques dans les régions défavorisées. Avec 8,4 médecins par 1 000 habitants (le ratio au Canada est de 2,4 par 1 000 habitants), le système médical cubain suit une approche préventive et ancrée dans les communautés, qui reconnaît les composantes sociales et psychologiques de la santé.
À la fin des années 1980, Cuba était à l’avant-garde de la recherche médicale sur le VIH et a combattu avec succès l’épidémie sur son territoire, si bien que le virus y est maintenant pratiquement éliminé. Même lors de la crise économique de la Période spéciale qui a suivi le démantèlement de l’Union soviétique, Cuba a maintenu une espérance de vie plus longue et un taux de mortalité infantile plus bas que les États-Unis.
Depuis l’envoi des premières brigades médicales cubaines au Chili en 1960 et en Algérie en 1963, la solidarité internationale est essentielle à la politique de santé cubaine. Plus de 400 000 travailleurs de la santé cubains ont participé à des missions dans 167 pays pour prêter main forte suite aux catastrophes naturelles et partager leur savoir-faire, dont plus de 37 000 cette année pour lutter contre la COVID-19. Cuba collabore avec des pays comme la Chine et le Venezuela pour produire des médicaments à faible coût et encourage la production locale dans les pays pauvres afin de réduire leur dépendance sur les nations impérialistes. Depuis 1999, l’École latino-américaine de médecine (ELAM) à Cuba a formé gratuitement 37 000 médecins provenant de plus de 100 pays, qui retournent ensuite dans leurs pays d’origine afin de servir leurs communautés.
Impérialisme canadien
En décembre 2019, le ministère de santé publique cubain a offert à l’Assemblée des Premières Nations d’envoyer des professionnels de la santé dans les communautés autochtones du Canada ainsi que d’accueillir des étudiants provenant de ces communautés à l’ELAM. L’Organisation des chefs du Sud (SCO) a accepté cette offre en février dernier dans le cadre d’un programme visant à faire face à la crise de santé dans les communautés autochtones et à promouvoir l’autodétermination des nations autochtones dans le domaine des soins de santé.
Jerry Daniels, le grand chef de la SCO, a salué l’approche préventive et holistique du système cubain, ainsi que son efficacité. « Ils ont probablement le meilleur retour sur l’investissement parmi tous les systèmes de santé au monde », a-t-il dit. Daniels s’attendait à ce qu’un premier médecin cubain s’établisse dans la Gambler First Nation, au Manitoba, dans les semaines suivantes pour ainsi améliorer grandement l’accès aux soins de santé. Comme dans plusieurs autres communautés autochtones, le gouvernement fédéral n’y fournit qu’une station de soins infirmiers et les patients doivent souvent être déplacés à l’extérieur de la communauté, par exemple à Winnipeg, afin de recevoir des soins médicaux.
Cependant, le gouvernement canadien a refusé d’octroyer un visa au médecin cubain. Suite au début de la pandémie de COVID-19 au Canada en mars dernier, la SCO a souligné dans une lettre au premier ministre Justin Trudeau l’urgence de permettre la venue des brigades médicales cubaines. Même en pleine pandémie, la vice-première ministre Chrystia Freeland a réitéré son refus, subordonnant ainsi la santé et l’autodétermination des peuples autochtones à l’arrogance impérialiste canadienne. Pire encore, le ministre des affaires autochtones Marc Miller a indiqué qu’il ferait appel à l’appareil répressif de l’État canadien, soit l’armée et la GRC, pour lutter contre les éclosions de COVID-19 dans les communautés autochtones, où la deuxième vague de la pandémie frappe plus fort que la première.
Le colonialisme en territoire canadien, incluant l’utilisation de l’appareil répressif de l’État pour contrôler la population autochtone, et l’impérialisme canadien à l’étranger sont deux côtés d’une même médaille. Sous Justin Trudeau, le Canada a joué un rôle de premier plan dans le groupe de Lima, visant à renverser le gouvernement démocratiquement élu de Nicolás Maduro au Venezuela; il a pris une position anti-démocratique suite au coup d’État en Bolivie qui a forcé la démission et l’exil du président indigène démocratiquement élu Evo Morales; il continue d’offrir un support inconditionnel à Israël aux dépens des Palestiniens. En territoire canadien comme à l’étranger, le mépris du gouvernement Trudeau pour l’autodétermination des peuples est remarqué par la communauté internationale, comme en témoigne d’ailleurs l’échec de sa campagne pour l’obtention d’un siège au Conseil de sécurité des Nations Unies.
Le projet de collaboration médicale entre la SCO et Cuba est un grand exemple de solidarité internationale, un partage d’expertise dans le cadre d’une relation d’égal à égal entre les nations. Si le gouvernement canadien savait faire preuve d’humilité, il y verrait un modèle à suivre dans ses relations avec les peuples du monde et les nations autochtones. Il est répréhensible que sa réaction ait plutôt été de bloquer toute possibilité d’une telle collaboration.