« Un maître d’école, par exemple, est un travailleur productif, non parce qu’il forme l’esprit de ses élèves, mais parce qu’il rapporte des pièces de cent sous à son patron. Que celui-ci ait placé son capital dans une fabrique de leçons au lieu de le placer dans une fabrique de saucissons, c’est son affaire. »
Das Kapital, Karl Marx
L’éducation supérieure au Canada a atteint un point de crise. Cette crise est démontrée par l’annonce récente par le gouvernement fédéral d’un plafonnement des inscriptions d’étudiants étrangers, ainsi que par la nouvelle que de nombreux établissements d’enseignement postsecondaire accusent des déficits budgétaires considérables.
L’université Queen’s, en Ontario, a annoncé qu’elle allait procéder à des coupes majeures en raison du déficit budgétaire prévu. Matthew Evans, doyen de l’université, a déclaré lors d’une réunion publique en décembre : « Je suis inquiet pour la survie de cette institution. Si nous ne réglons pas ce problème, nous ferons faillite. » Les réductions comprennent l’élimination de tous les cours de premier cycle comptant moins de 10 étudiants l’année prochaine, l’introduction d’un gel des embauches et le licenciement de professeurs auxiliaires. Les coupes budgétaires à Queen’s sont mises en place alors que l’université dispose de la cinquième plus grande dotation universitaire du pays, évaluée à plus de 1,4 milliard de dollars. En outre, Queen’s dispose d’un excédent accumulé de 600 millions de dollars, contre un déficit prévu de 62 millions de dollars avant les coupes et de 48 millions de dollars après les coupes.
Près de la moitié des universités de l’Ontario, soit 10 des 23 universités publiques de la province, sont confrontées à des déficits budgétaires cette année.
En octobre dernier, le gouvernement du Québec a pris la décision controversée d’augmenter les frais de scolarité des étudiants canadiens hors Québec de 8 992 $ par an à 17 000 $, tandis que les étudiants étrangers paieraient un minimum de 20 000 $. Cette décision a été prise sous les auspices de la protection de la langue française. Cependant, l’impact ne sera pas seulement sur les étudiants hors province des trois universités anglophones du Québec, mais avant tout sur les étudiants franco-canadiens qui dépendent du système d’éducation postsecondaire du Québec en raison des insuffisances de leur province d’origine.
Le système d’immigration canadien est conçu pour maintenir divers statuts d’immigration temporaire afin d’assurer une offre constante de travailleurs précaires, non syndiqués et faiblement rémunérés pour réduire les salaires et les conditions de travail pour tous. Les universités, les collèges et un nombre croissant d’établissements privés ont utilisé les étudiants étrangers pour remplacer les aides financières publiques qui s’amenuisent, car les étudiants étrangers paient des frais de scolarité plus élevés. Le plafonnement du nombre d’étudiants étrangers a été introduit parce que la classe dirigeante n’a plus le même besoin d’augmenter l’armée de réserve du travail pour exercer une pression à la baisse sur les salaires. L’inflation se charge désormais de réduire les salaires à sa place. La réduction du nombre d’étudiants étrangers peut contribuer à créer une crise dans l’éducation supérieure, de sorte qu’il puisse subir une restructuration corporatiste et accélérer la marchandisation et l’exclusivité de l’éducation, comme nous l’avons déjà vu à l’Université Laurentienne.
La classe dirigeante veut nous faire croire que les racines de cette crise se trouvent dans les frais de scolarité qui n’augmentent pas assez vite ou dans les « inefficacités » telles que les salaires des travailleurs. Mais la vérité est que la crise découle de la crise générale du capitalisme. Nous nous trouvons dans cette situation en raison de décennies de sous-financement de la part des gouvernements provinciaux et fédéraux de toutes tendances politiques, ainsi que des dirigeants d’entreprise des établissements d’enseignement postsecondaire qui poussent à la marchandisation de l’éducation.
L’expansion des collèges et universités à but lucratif, y compris leurs partenariats avec les écoles publiques, entraîne une baisse inacceptable de la qualité de l’éducation. Elle modifie également la dynamique d’un système fondé sur le mérite à un système orienté vers la consommation, où les étudiants considèrent l’éducation supérieure comme un investissement financier qui ouvre la porte à un salaire plus élevé, au lieu de considérer l’éducation comme une opportunité de développer une pensée critique ainsi que d’importantes compétences techniques.
Nous avons déjà vu les gouvernements provinciaux de l’Ontario, de l’Alberta et du Manitoba introduire un financement « basé sur la performance » dans lequel le financement public serait lié aux besoins du marché du travail. Dans le cadre de ce système, les établissements d’enseignement supérieur ne recevraient plus de financement basé sur les inscriptions, un arrangement qui est déjà inadéquat, en particulier pour les petits établissements et ceux qui se trouvent dans des régions situées en dehors des grands centres urbains. Au lieu de cela, ils seraient soutenus financièrement en fonction des résultats obtenus par les étudiants, tels que les taux d’embauche et les revenus d’emploi. Il ne fait aucun doute que cela profitera aux programmes professionnels et à ceux qui sont liés à des entités industrielles spécifiques sous la direction du conseil d’administration de l’école, qui vient de Bay Street et des grandes entreprises. Le financement basé sur la performance se fera au détriment d’un large éventail de programmes d’arts et lettres, de sciences humaines et de langues, ainsi que de la recherche intellectuelle critique.
Cette crise n’affectera pas seulement les étudiants actuels et futurs. L’enseignement supérieur est une industrie majeure dans toutes les provinces. L’économie du Canada repose sur l’existence d’un bassin d’étudiants éduqués. La majorité de la population canadienne a reçu une forme ou une autre d’accréditation post-secondaire. Selon l’OCDE, la population canadienne a le taux d’achèvement des études supérieures le plus élevé au monde. L’enseignement supérieur représente plus de 40 milliards de dollars de recettes publiques par an, soit environ 1,2 % du PIB du Canada. Rien qu’en Ontario, on estime que l’impact économique de ses 21 universités et 24 collèges publics est supérieur à 120 milliards de dollars par an. Au Canada, le secteur de l’enseignement postsecondaire emploie directement plus de 440 000 personnes dans tout le pays et contribue à 300 000 autres emplois indirects.
Ce qu’il faut maintenant, c’est un investissement sérieux des fonds publics dans l’enseignement supérieur. Le fait de compter sur les frais de scolarité, en particulier ceux des étudiants étrangers, plutôt que sur les fonds publics, a créé un modèle de financement non viable qui entraîne une contraction importante du secteur de l’enseignement postsecondaire.
La part de financement public de l’enseignement supérieur au Canada a été réduite de 80 % il y a 30 ans à moins de 50 % aujourd’hui. Le financement public de l’enseignement postsecondaire stagne ou diminue depuis plus de dix ans, malgré une inflation galopante. Entre 2008 et 2020, les inscriptions d’étudiants ont augmenté de plus de 20 %, tandis que les revenus provenant des frais de scolarité ont augmenté de près de 70 % dans tout le Canada. Les grandes entreprises, qui dictent la plupart des politiques gouvernementales, ont clairement fait savoir qu’elles ne se souciaient pas d’élargir l’accès à une éducation de qualité au Canada. Les capitalistes exercent de fortes pressions pour limiter l’accès à l’éducation et prendre le contrôle direct des universités et des collèges.
Nous devons nous battre pour une expansion de l’éducation de qualité et accessible à tous. Les licenciements et les hausses de frais de scolarité proposés par les administrations à travers le pays ne feront qu’exacerber la crise, au lieu de la résoudre.
Nous ne pouvons pas tomber dans les pièges cyniques tendus par la bourgeoisie – l’argument selon lequel l’éducation aux arts et lettres est un luxe, que seules des études à forte « employabilité » devraient être proposées, ou que l’éducation gratuite subventionnera les riches en taxant les travailleurs.
Notre rôle en tant que jeunes communistes dans le vaste mouvement étudiant est de construire l’unité dans l’action, d’injecter des idées de lutte des classes, et d’essayer de naviguer loin des impasses aventuristes ou réformistes. Les syndicats étudiants et leurs fédérations se sont éloignés de leur rôle nécessaire d’organes de lutte pour devenir des prestataires de services pour les plans dentaires ou les cartes ISIC. En tant que la YCL-LJC, nous devons porter la revendication d’un monopole public de l’éducation supérieure qui assure la gratuité de l’enseignement pour tous. Nos cellules basées sur les campus doivent travailler à la construction d’un mouvement étudiant qui puisse se tenir aux côtés des travailleurs et de leurs syndicats contre les réductions de cours et de services, qui puisse lutter contre les hausses de frais de scolarité, qui puisse mobiliser des centaines de milliers d’étudiants comme nous l’avons déjà vu dans ce pays.
En fin de compte, notre rôle est de construire la lutte pour le socialisme, qui fournira une véritable éducation démocratique et émancipatrice sans barrières pour tous ceux qui y travaillent.
« Les communistes n’inventent pas l’action de la société sur l’éducation; ils en changent seulement le caractère et arrachent l’éducation à l’influence de la classe dominante. »
Manifeste du parti communiste, Marx et Engels
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