Noël de vie chère, Noël de deuil, Noël d’angoisse; mais surtout Noël d’espoir

Le texte de Paul Vaillant-Couturier toujours d’actualité.

Adrien Welsh, membre de la LJCQ

Il y 95 ans, Paul Vaillant-Couturier signait un éditorial dans l’Humanité du 25 décembre qu’il intitulait « Noël de guerre, Noël de classe ». Tout dans ce texte brille par sa clairvoyance, son actualité. 

Là où il écrit « Noël d’inquiétude, Noël d’angoisse, Noël de chômage. Noël de vie chère », il ne s’imagine pas que près d’un siècle plus tard, on en serait toujours là. Cette année, c’est surtout la vie chère qui fait de ces fêtes de fin d’année une période d’angoisse. Avec une pression inflationniste la plus importante depuis trente ans qui entraîne une hausse des prix effrénée (1000 $ de plus pour un panier d’épicerie en moyenne), les salaires réels baissent. L’endettement frôle des sommets et les économistes à la solde de la classe dirigeante, se voulant rassurants, préfèrent détourner l’attention et parler de pénurie de main d’œuvre, de reprise économique et de hausse des taux d’intérêts à venir comme de signes d’une économie en santé. Or, dès que ces taux augmenteront, et ça ne saurait tarder – sans doute verrons-nous cette manœuvre financière plus tôt que prévu – des milliers de travailleur-ses, retraité-es, jeunes, etc. se retrouveront sur la paille. 

Donc oui, Noël de vie chère. 

Là où il dénonce la lâcheté du patronat meurtrier, responsable du décès de quarante ouvriers en un mois, nous déplorons le suicide d’un salarié de la cimenterie d’Ash Grove de Joliette s’enlevait la vie à quelques jours du temps des fêtes. Ce n’est pas qu’un simple suicide. Les salarié-es de cette cimenterie sont en lock-out depuis le 22 mai et peinent à voir une issue à ce conflit qui s’éternise contre une multinationale déterminée à briser la force de résistance des travailleur-ses au point d’embaucher des briseurs de grève et de faire baisser la production de l’usine. 

On déplore également la mort de Riley Valcin, ce jeune homme à la fleur de l’âge décédé le jour de Noël alors qu’il s’affairait à déneiger la Grande Roue de Montréal. À 22 ans, cet aspirant ingénieur, étudiant à la Polytechnique, avait la vie devant lui. L’enquête de la CNESST ne fait que commencer, mais il y a fort à parier que sa vie n’a pas été ravie seulement par les engrenages de la roue qu’il déneigeait, mais aussi par les rouages de la machine à profits capitalistes. 

Ce sont deux exemples parmi plusieurs, hélas, de la violence de classe qui tue, de la réalité meurtrière et sans pitié de la lutte des classes. 

Donc oui, Noël de deuil pour la classe ouvrière. 

Là où Vaillant-Couturier décrit la négligence criminelle du patronat, cette année sera marquée par la casse pure et simple de nos mécanismes de prévention et de réparation en matière de santé et sécurité au travail par le projet de loi 59, et ce, dans une indifférence orchestrée par le gouvernement, le patronat et les médias à leur solde. 

Ainsi, des décès comme celui de Riley Valcin, des estropiés victimes du patronat pour qui la santé et la sécurité au travail ne représentent que des dépenses inutiles, seront plus fréquents. La négligence criminelle des capitalistes qui cherchent sans cesse à réduire les humains en robots ne sera plus sanctionnée, et les victimes de cette guerre de classe contre les travailleur-ses ne pourront plus réclamer réparation. 

Les milliers, voire les millions de travailleur-ses qui vivent dans l’angoisse de se voir démembrés et servir de graisse humaine pour huiler les engrenages de la machine capitaliste; ces millions d’hommes et de femmes qui se voient jour après jour dépossédé-es un peu plus du fruit de leur labeur au point de se sentir comme Faust, aliéné-es, acculé-es au pied du mur, au point de se vendre au Méphistophélès invisible du marché au son d’une danse macabre de Saint-Saëns; ces masses de petits commerçants, producteurs, revendeurs et pigistes que le capital berne en désignant comme « auto-entrepreneurs » comme pour masquer le fait qu’eux aussi sont à la solde du capitalisme monopoliste d’État, mais privés de protection et de régime d’assurance et pour qui un arrêt de travail suffit à déclarer faillite; ces plus de 5 000 travailleur-ses de la santé qui, à cause de la COVID-19, doivent cesser de travailler et ceux et celles qui suivront; ces dizaines de milliers de travailleur-ses migrant-es réduit-es à des bêtes de somme dans des agences d’intérim ou à la merci de producteurs terriens peu scrupuleux; eux et elles vivront dans l’angoisse. Ils vivront dans une même angoisse que les camarades de cellule de Paul Vaillant-Couturier pour qui il n’y a pas « dans leur usine, une machine qui [soit] en règle avec les prescriptions légales de protection et qu’un pont roulant non protégé notamment [fait] peser une menace constante et terrible sur un atelier tout entier ». 

Pourtant, la technologie existe pour réduire considérablement ces risques. Mais au lieu de l’utiliser pour garantir un environnement de travail sain aux salarié-es, le patronat l’utilise pour imposer, grâce aux technologies du XXIe siècle, une exploitation digne du XIXe siècle. Oui, le patronat « gagne à tuer » et tou-tes les salarié-es se demandent qui sera la prochaine victime de cette cruelle lutte des classes, sans oublier que s’il gagne à tuer dans les usines, il gagne également à tuer par ses guerres impérialistes qui se profilent sans cesse au quotidien.    

Donc oui, Noël d’angoisse. 

Tout peut sembler sombre et désespérant, mais avec l’optimisme si caractéristique du révolutionnaire, le rédacteur en chef de l’Humanité, héritier de Jaurès, journaliste au service de la classe ouvrière, voix de son avant-garde, du Parti communiste, conclut sur une note d’espoir bien à propos dans la France des années 1920 où la classe ouvrière toujours croyante célèbre la Nativité du 25 décembre : « n’oublions pas, nous, les artisans passionnés d’une Révolution inéluctable, que le Sauveur, camarade, c’est toi-même avec ton marteau, avec ta faucille, avec ton fusil. »

Donc surtout, Noël d’espoir… 

Et cet espoir existe : c’est toi, camarade, c’est nous, qui en entretenons la flamme telle une lueur qui perce le noir des tableaux du Caravage. Notre espoir, c’est celui des rêves de liberté qu’écrivait Éluard sur ses cahiers d’écolier, sur les arbres, la neige, le sable. C’est celui de Picasso qui, d’un coup de pinceau refait le monde, des rimes d’Aragon au service de la Révolution, de la science de Joliot-Curie au service du progrès, de la paix et de la solidarité, des harmonies dissonantes de Chostakovitch, du cinéma « coup de poing » d’Eisenstein et des pièces percutantes de Brecht. Cet espoir, c’est celui de l’ouvrier-ère qui, par ses luttes pour gagner son pain quotidien, s’unit à ses frères, ses sœurs, aux intellectuel-les, et à ses semblables pour qui la vie a un goût amer, mais qui savent que leur espoir est dans la lutte. Cet espoir, c’est celui de la jeunesse intrépide qui ose et qui apprend, à son rythme et par ses propres expériences, à lutter jusqu’à vaincre.

Cet espoir donc, cette flamme révolutionnaire, c’est notre Parti, le Parti communiste, qui l’attise depuis 100 ans et qui, contre bourrasques, orages, tornades et ouragans continue de briller. Et soyons-en certain-es, camarades, cette flamme deviendra tôt ou tard un grand feu autour duquel nous célébrerons dans la liesse le travail émancipateur et fêterons un Noël de paix, de liberté et de fraternité… 

Noël de guerre, Noël de classe
par Paul Vaillant-Couturier

C’est un de ces jours de Noël froids, douloureux, comme ceux que nous vivions au front dans les tranchées.

Noël d’inquiétude, Noël d’angoisse, Noël de chômage. Noël de vie chère…

Noël de deuil aussi pour la classe ouvrière.

Comme une surcharge accablante au poids quotidien du meurtre à petits coups de l’usine, de la mine, du rail, du chantier, quatre catastrophes se sont abattues depuis un mois, jour pour jour, au Nord, au Sud, à l’Est, au Centre, sur des ouvriers, mettant à l’actif du patronat un tableau de chasse massif.

Le 25 novembre, c’était à Haubourdin, trois morts et trente blessés dans une fabrique d’amidon.

Le 13 décembre, c’était à Saint-Auban, dans une usine de gaz asphyxiants, l’explosion d’une cuve de chlore qui tuait 24 ouvriers et en blessait plus de soixante-dix.

Le 23 décembre, à Pont-à-Mousson, un four à coke, en s’effondrant tuait douze hommes.

Avant-hier à Fontainebleau, dans un atelier d’hydrogène, une colonne de lavage des gaz éclatait, tuant un travailleur et en blessant deux autres.

En un mois, en quatre accidents, quarante ouvriers tués, Français, Italiens, Polonais, Arabes, Tchèco-Slovaques, Russes, Portugais, Autrichiens, toute une internationale de morts…

La responsabilité du patronat? Établie, écrasante, partout.

Les sanctions? Quelques rentes…

Le remède? Des discours dans le vent, sur des tombes alignées…

Et cela dure depuis que la grande production capitaliste existe. Et cela est étroitement lié au régime capitaliste.

Des lois ont été édictées pour la protection du travail. Elles demeurent lettre morte : un enfant travaillait 24 heures de suite à Haubourdin; les masques à gaz étaient hors d’usage à Saint-Auban… Démocratie.

Des inspecteurs, payés de façon dérisoire, sont chargés de veiller à l’application des lois et de brandir leurs armes: des amendes de quelques francs!

Hier encore, dans la cellule Thomson-Houston, à laquelle suis rattaché, les camarades me racontaient qu’il n’était pas, dans leur usine, une machine qui fût en règle avec les prescriptions légales de protection et qu’un pont roulant non protégé notamment faisait peser une menace constante et terrible sur un atelier tout entier.

Le patronat, du haut de ses puissants syndicats, se moque d’une légalité dont il sait qu’il reste le maître. Les indemnités qu’il doit payer de temps en temps pour ses victimes lui coûtent moins cher que l’organisation d’une protection efficace.

Il gagne à tuer.

Une fois de plus, ici, apparaît l’implacable, la sauvage lutte de classes.

Il gagne à tuer, le patronat, et il exige que cela continue.

Une preuve? La bataille engagée par les Chambres de commerce et les syndicats patronaux contre le contrôle ouvrier. J’ai entre les mains le Bulletin de la Chambre de commerce de Valence et de la Drôme et j’y lis ceci : « La Chambre de commerce se déclare résolument opposée à la création de délégués ouvriers dans les industries dangereuses et insalubres. »

« L’installation des délégués lui apparaît comme inutile, dangereuse et irréalisable. »

Inutiles? Dangereuse? Les morts de ces derniers mois répondent.

Irréalisable? Les travailleurs réaliseront.

Le contrôle ouvrier, dont le patronat a peur – et que seule la Révolution réalisera pleinement – sera arraché de gré ou de force…

Il n’est qu’un des mots d’ordre dans la bataille qui s’engage entre le capitalisme rationalisateur et le prolétariat révolutionnaire.

Mais les circonstances lui donnent une tragique actualité, en cette fin d’année.

Sans doute, communions-nous aujourd’hui, jour de Noël, dans le souvenir de nos morts ouvriers, sans doute pensons-nous au chômage qui s’étend, à la misère qui vient, aux usines qui débauchent, mais nous nous souvenons aussi, que dans la vieille légende chrétienne, Noël est un jour de naissance, un jour de promesse, un jour d’espoir pathétique, le jour du Sauveur.

Et nous n’oublions pas, nous, les artisans passionnés d’une Révolution inéluctable, que le Sauveur, camarade, c’est toi-même avec ton marteau, avec ta faucille, avec ton fusil.