Portugal : l’extrême-droite reprend-elle pied dans le débat politique?

Longtemps, le Portugal a été plutôt épargné par la montée des populismes européens. Cependant, en 2019, pour la première fois depuis 1974, un Parti d’extrême-droite fait son entrée à l’Assemblée de la République.

Catarina Eufémia, membre du LJCQ

Longtemps, le Portugal a été plutôt épargné par la montée des populismes européens. Alors que dans l’Espagne voisine, le parti Vox fait son entrée triomphale en Andalousie ou qu’en Italie le M5S de Beppe Grillo en vient à former un gouvernement de coalition avec la Ligue du Nord (autre force politique populiste d’extrême-droite), rien n’indiquait que le Portugal était en phase de connaitre une situation similaire. Certains ont même qualifié ce pays d’exception européenne. 

Sans doute que la mémoire relativement vive et récente de la Révolution d’avril qui a dérouté la dictature de Salazar Caetano et l’influence du Parti communiste portugais et du mouvement syndical ont contribué à faire barrage aux populismes (de gauche comme de droite d’ailleurs). On peut également souligner le fait que jusqu’à tout récemment, la classe dirigeante portugaise se contentait des partis de la droite traditionnelle (CDS-PP, PPD/PSD) comme du moyen le plus approprié pour rassembler les forces les plus réactionnaires (souvent héritées de la période de la dictature Salazar – Caetano) et véhiculer leurs idées. 

Cependant, en 2019, pour la première fois depuis 1974, un Parti d’extrême-droite fait son entrée à l’Assemblée de la République. En effet, André Ventura, ancien commentateur sportif et pamphlétaire d’extrême-droite, sous la bannière du parti populiste et conservateur qu’il dirige, Chega (ça suffit), se fait élire. Il fait un esclandre notamment lorsqu’il propose le plus sérieusement du monde que les Rroms soient internés, leur hygiène étant un des facteurs de la propagation de la pandémie de COVID19. Il fait également parler de lui lorsque, en réponse à une proposition d’une députée d’origine Bissau-Guinéenne réclamant la restitution des oeuvres d’art acquises par le Portugal lors du colonialisme à leur pays d’origine, il répond du tac au tac que c’est elle qui devrait être “restituée” à son pays d’origine. D’autres propositions aussi loufoques que dangereuses incluent le retrait des ovaires des femmes qui choisiraient d’avorter. 

Battage médiatique aidant et grâce à l’appui des populistes de toute l’Europe dont Marine LePen, André Ventura se forge une image anti-système et se présente aux élections présidentielles du 24 janvier dernier. À la surprise générale, il remporte la 3e position avec plus de 11% des suffrages, devançant le candidat du Parti communiste, Joao Ferreira, et se positionnant juste derrière la candidate socialiste qui compte sur l’appui de 13,5% des voies exprimées. Le Président sortant, soutenu par une coalition de partis de droite, est reconduit haut la main avec près de 61% des voix, sans grande surprise. 

Pour quiconque qui s’intéresse ne serait-ce qu’un peu à la politique portugaise, il apparait clair que l’influence du Parti communiste s’étend bien au-delà du nombre de suffrages exprimés aux présidentielles. Dans les syndicats, freguesias (agglomérations locales), dans le mouvement étudiant comme dans les différents mouvements ou dans les associations de quartier, bref dans tous les aspects de la vie quotidienne des travailleur-euse et des masses populaires, il est impossible d’éviter de tenir compte de la méthode de travail comme des idées communistes. 

Or, c’est justement cette influence que la classe dirigeante du Portugal essaie de laminer par tous les moyens. Il semble clair, à l’issue de ces élections présidentielles, que les partis que sont CDS-PP et PPD/PSD, compromis dans leur imposition de mesures d’austérité draconiennes, ont perdu une grande part de leur légitimité aux yeux du peuple portugais, d’où la nécessité de recourir et surtout de promouvoir coute que coute l’image des populistes comme repoussoir des frustrations populaires légitimes afin de les éloigner coute que coute de l’influence communiste.

Le contexte de pandémie a fourni une occasion en or à cet effet. Faible mobilisation, déficit de manifestations publiques et militantes (attestées par un faible taux de participation), ont donné un rôle démesuré aux médias corporatistes et aux médias sociaux qui ont profité en particulier aux populistes. 

Pour le PCP cependant, même si André Ventura (et un de ses semblables Tiago Mayan moins vitriolique mais tout aussi dangereux) représentent l’expression “la plus réactionnaire des intérêts du Grand Capital”, il n’en demeure pas moins qu’ils n’atteignent pas le niveau que certains auraient voulu et n’ont pas réussi à faire dévier totalement le débat des élections présidentielles autant qu’escompté. Le PCP poursuit en rappelant que même si nombreux sont ceux et celles qui se sont laissés berner par le discours démagogique de Ventura et Mayan, “l’appui électoral dont jouissent ces candidats est loin de celui dont bénéficiaient les candidats réactionnaires à une autre époque.” 

Autrement dit, l’élection présidentielle du 24 janvier va bien au-delà de la surprise que constitue le gain obtenu par André Ventura. Cette déclaration, tempérée, prend tout son sens lorsque l’on sait que les forces “de gauche” utiliseront cette nouvelle donne politique pour inciter notamment les communistes à s’engager dans une voie qui les mènera à la remorque de la social-démocratie au nom d’un front anti-fasciste. Pour le PCP, cette option est inacceptable et seul un renforcement du Parti et de sa coalition, la CDU, à travers en particulier le rassemblement dans les luttes permettra de battre en brèche la montée de l’extrême-droite. 

Photo: Tiago Miranda